Buster et Colombine — L'acharnement à l'extase
Moi qui suis l’homme, Buster, le mâle, je prends en charge le feu, le pain, le grain et son transport en sacs, Colombine quant à elle s’occupant de couture, de jardinage, de fructification et de pâtisserie. Le linge nous le lavons ensemble, ensemble récoltons, et pour le reste chacun s'emploie à ce que bon lui semble, sans concession surtout. En effet, contrairement à ce que pense le Quai d’Orsay, la moindre concession a tôt fait de saper les fondements d’une entente. Le conjoint A, abandonnant en effet une partie de son infini en vue de s'attirer les bonnes grâces de son conjoint B, mais en même temps refusant d'empiéter, de peur de se voir rabroué, sur ce qui reste de l'infini de B, il en résulte une contraction de deux espaces mentaux et la formation, entre les deux ego de la sorte réduits, d'une zone dans laquelle nul ne s'aventure plus — sinon renfrognements, mauvaise humeur, coups de gueule vous crucifiant sur la croix du ressentiment. Ceci car tout individu, isolé en son Moi, est séparé de son semblable par une distance que seule permettra de franchir, à condition qu’elle s'achève en beauté, c’est-à-dire par un tremblement réciproque accompagné du rire du Créateur, l’action fornicatrice.
Fumeux aux yeux d'Aglaé, complexe à ceux d'Ernestine et de
Cocotte, ce raisonnement paraîtra limpide pour peu qu'on l'illustre,
comme en publicité, du visuel adéquat — que voici justement :
Sur la droite de l'image sa projection à lui, et sur la gauche sa
projection à elle. Entre ces deux repères un champ de glace, entre ces
deux entités l'espoir de n’en plus faire qu’une. A s'élance donc bras
grands ouverts vers B tandis que B fait de même en direction de A…
Plaçons
maintenant une bulle au-dessus de chacun des deux protagonistes, soit
deux espaces mentaux dans lesquels prendront place les psychés
respectives…
Première figure : les deux corps se rejoignent mais les bulles, élevées à des hauteurs différentes, se croisent sans se toucher. Il en résulte pour A et B un déchirement d’âme et de corps, torrents de larmes accompagnés de grognements, Chacun de se replier alors dans sa coquille, pestant contre il ne sait trop quoi.
Deuxième figure : les deux corps se rencontrent mais les bulles, élevées par deux désirs distincts à des hauteurs différant cette fois-ci d'un peu moins de la somme de leurs deux rayons, ne se pénètrent qu'en partie. Demi-échec, demi-succès. D'une part un cri, d'autre s'part un soupir.
Troisième figure, la dernière : corps et bulles se présentent de front, si bien que l’on assiste à la fusion totale, “le pied“ chanté par le poète branché, encore que dans les heures suivantes tout soit à recommencer (les Moi recouvrant leur désolante unicité). Chacun de rentrer chez soi comme dans l'exemple précédent, mais on se sourit, et on publie les bans. Cependant, comme les bulles sont rarement de volume identique, l'absorption de l'une par l'autre engendre rapports de force, prises de becs, clouages de becs ainsi que rancœur tenace, comme avec Ernestine, ou encore un divorce à l'amiable, comme avec Aglaé.
Seul espoir : pour éviter de s'enliser dans le sable mouvant des psychés, favoriser les corps à corps sans se soucier d'esprit, de sentiments ou autres balivernes. Briser la glace chaque fois que l'occasion se présente, s'entre-saisir et s’éclater pour s'en aller ensuite, seul à jamais mais libre, enrichi de souvenirs agréables dont les échos iront nourrir l’avenir, vaquer dans les champs de la conscience. Ou encore… mais là nous pénétrons — par effraction ou presque — dans les domaine conjoints de l’utopie et du sacré… une fois abandonnées les prisons de l'ego patiner de concert sur deux infinis confondus, se rapprocher, se séparer, s'accorder par le pas et s'unir par le geste, valses viennoises ou rock, tangos à vous faire chavirer, bulles fusionnant et flamboyant au-dessus.
Evasion – extrait philosophique choisi.
Calder — sans tritre (détail).
Gargallo — sculptures