A présent, troisième œil
….“de la démence vaincue“, en effet. Mais en notre cas de figure, au lieu de démence, parlons plutôt de l’égarement infantile qui nous fit tout au long de notre histoire construire des forteresses, aiguiser des pointes, nous battre pour un territoire, une rue ou un pan de mur, et tout cela déguisés en soldats, en voleurs et gendarmes, en ramasseurs de cailloux, puis en experts du javelot, en spécialistes du boulet de canon et finalement de la grosse Bertha.
Là, en plein égarement, mieux valait s’arrêter, couper le moteur d’un progrès qui risquait de nous nuire, baisser la vitre et aborder le premier venu, un Cherokee du Keetoowah par exemple, ou un Indien de Jaipur ou du Gange, ou même un aborigène des déserts d’Australie et le supplier de nous indiquer une route, un chemin ou une piste qui nous ramenât sur terre.
Ce fut chose faite sitôt que la colère de Manitou avait flanqué bas la finance infernale des états en même temps que les deux tours jumelles du plus puissant d’entre eux. Ce coup de pied dans le fourmilière engendra une telle pagaille que les pouvoirs volèrent en éclat, que la plupart des chefs passèrent à la casserole, y compris Sarkozy et sa bande, et que la planète Terre, défigurée par les exploiteurs, put espérer retrouver des couleurs.
C’en fut ainsi terminé de l’argent, terminé des frontières, terminé des rivalités intestines, et la gouvernance du monde passa des mains de quelques uns à celles de plus personne. Confiée à des calculateurs électroniques au boulot vingt-quatre heures sur vingt-quatre, la gestion des richesses cessa de perturber l’esprit de l’humanité, si bien que chacun put enfin s’occuper du développement de sa conscience, de son élévation à un niveau pour nous inconcevable. Quoi qu’il en fut, la paix régna sur la terre comme aux cieux.
Vous allez me dire que cette fable est bidon, que je raconte n’importe quoi pour occuper les linéaires du marché aux idées, si bien que Polipoterne va une fois de plus se foutre de ma tronche. Mais regardez-moi, et regardez-moi bien : je viens de descendre de ma nacelle, l’oxygène des hauteurs m’a quelque peu ébouriffé, certes, mais l’hélium de la transcendance m’a permis de m’ouvrir, de déployer mes antennes dans le vertige qui m’a saisi, d’en ramener les vérités qui vont à présent nous nourrir.
Approchez donc sans crainte, compagnons ffarés, ouvrez les yeux et voyez-moi. Pas trace de suie sur ma gueule de pionnier, non plus que de sel de larmes échappées de mes paupières en raison d’escarbilles. Dieu sait pourtant si je les ai chargés, mes fourneaux, et si j’en ai poussé mes feux, si je me suis à maintes reprises penché à la portière pour savoir où j’allais.
Eh bien je vais vous dire, frères et sœurs : tout ce que j’ai compris, c’est que je filais vers une telle clarté que j’en reviens aveugle mais je m’en fiche. Même si vous ne le voyez pas, j’ai le troisième œil ouvert en plein milieu du front.