Vers les entrailles du globe.
Perle Totenkopf - photo X.
Un coup de chiffon
suffit à rendre à nos bottes le brillant des beaux jours, et le brossage de nos
uniformes à les débarrasser de la poussière risquant d’indisposer le Pouvoir.
Et voilà !
Serviteurs inconditionnels d’un régime en javelle, officiers demeurés à leur
poste malgré que tout fût en vrac et que la fierté allemande fût passée à la
trappe, nous avons investi, dans la carcasse de la Chancellerie, une salle dont
le gigantisme tenait lieu de mouroir à un millier de S.S. sérieusement amochés,
dont le remugle des blessures faillit nous jeter bas.
— Courage, kameraden, s’écria
Mordekhaï, pris soudain du désir de dynamiser le bataillon s’en allant au
cimetière. Courage, Spetznazen und Schweinen ! De nouvelles armes, vous
entendez, de nouvelles armes, Allah Akbar ! vous sont livrées en gare de
Görl…
A ce moment, une formidable
déflagration sonna la fin du monde. Une colonne vacilla, une autre l’imita, si
bien que la majeure partie du dôme, haut de vingt mètres, s’effondra sur les
agonisants, étouffant râles et gémissements dans un nuage de plâtre, enterrant
puanteur et souffrance sous des tonnes de moellons.
— Prévenir Herr Hitler,
schnell, postillonna Guturdjieff à l’intention d’un S.S. estourbi qui cependant,
recouvrant ses facultés et reconnaissant Himmler en la personne de Cabriolet,
nous invita à le suivre. C’est ainsi que nous parvînmes, accompagnés de nos
chiens et alourdis d’un armement dont personne ne parut s’inquiéter, devant le
blindage où se terrait la Bête.
Mordekhaï a fait feu, notre guide
est tombé. Enjambant son corps, Kratzko a frappé au guichet.
— Die Losung, bitte, a demandé
une voix.
Le losung à la
manque, le putain de mot de passe, nous ne l’avions évidemment pas, du moins
pas sur la langue. Non plus que dans nos poches, mais il aurait fallu plus
d’une broutille de cette espèce pour nous contraindre à la retraite. Reculant
pour nous faire admirer, en Militärmanner huilés et formatés, aux regards
affinés par les opérations de sabotage et d’éradication de juifs, Heil
Hitler ! avons-nous éructé à la face du destin. Cela en exhibant un H.H.
pitoyable, arraisonné alors qu'il tentait de s’enfuir par l’escalier de
service, pour preuve le pruneau… attendez qu'on le déloque… voyez le
travail !… et vous exigez…
Le judas s’est
refermé, des appels ont retenti, puis un martèlement de bottes est monté des
abîmes, deux yeux ont clignoté dans le noir du judas.
— Die Losung,
bitte. Le Führer l'exige.
— Mais bordel
de bordel, s'est emporté Gorbatchev, enfin Guturdjieff. On débarque de l’enfer,
trois jours qu'on n'a pas mangé, qu’on n’a pas baisé et qu’on a vu la mort à
tous coins de rues, et de la pourriture partout, tout ça pour cette enflure,
pour ce Reichsführer à la graisse d’oie, et s'entendre réclamer… die
Losung ? — A chier ! Alors
va dire à ton Führer, Heil Hitler !, que si jamais tu n'ouvres pas vite
fait, son chochotte, on le passe au barbecue. Exécution !
Conciliabule, bottes qui s’en vont et remontent, et de nouveau l'œil noir : « Papieren, bitte ».
… On a
refilé les Ausweiss d'on ne savait
plus qui, on a appris que le Führer frôlait l’attaque, et la porte s'est
ouverte sur nous cinq, nos chiens et trois coups de feu, ploc, ploc, ploc,
sortis du silencieux de Ladislav. Enjambant trois cadavres, nous nous sommes
alors dirigés vers les entrailles du globe.
.