Au-dessus du marigot

Rompre avec le capharnaüm idéologique actuel, ne plus s’inquiéter des bisbilles et prendre du recul, prendre de la hauteur, comme tu as raison, Jean-Luc, et comme je m’en réjouis. Au point que je me demande pour quelle raison tu as tant tardé à te décider. Parce que, dans le marigot des mensonges quotidiens,  lorsque un individu ou un peuple doivent en permanence river leur regard sur le quotidien, ils ne voient plus ce qui est important. Et ce qui est important, ce ne sont ni les partis, ni les mouvances, ni les programmes dont on se contrefout d’autant qu’ils sont aussitôt jetés aux oubliettes. Ce qui importe, c’est ce que le peuple attend sans vraiment le savoir, et dont l’absence le désespère :

• D’abord un langage libéré du mensonge, comme celui que tu nous as offert lors des présidentielles mais qu’ensuite, pour d’obscures raisons, tu as abandonné pour aller ferrailler contre une harengère remontée des égouts. Du coup, tes partisans se sont soudain retrouvés démunis. À commencer, dans mon département, par les militants communistes, qu’on aurait pourtant crus politiquement cultivés, socialement responsables. Eh bien non. Eux qui ont pour la plupart quarante ans de militantisme derrière eux se sont révélés aussi ignares en ce domaine, aussi dénués d’imagination que le dernier des affidés de Copé. Pire encore, drapés dans les oripeaux d’une gloire moribonde, ils refusent la moindre remise en question de leur grandeur, la moindre idée qui pourrait les troubler dans leurs inébranlables convictions. Béton sont-ils, de ce béton sur lequel on érige les monuments funéraires. À toi donc de renouer avec les foules qui se pressaient à tes meetings, à toi de réembrayer sur les propos d’avant l’échouage du Front de Gauche, c’est-à-dire de pousser tes idées et tes intuitions plus loin que tu ne l’as fait jusqu’à présent. Autrement dit de dépasser les détails pour ranimer ce qui a quasiment cessé de flamboyer dans le cœur de nos compatriotes. Redonne vie aux rêves enfouis, remets les utopies en selle et, surtout, conjure les militants de trouver pour leurs affiches et leurs tracts des formulations assez simples pour toucher quiconque sans qu’il soit nécessaire de lire et relire x fois la même prose insipide. En un mot, revois ta communication. Et si tu n’as pas les moyens de te payer de la quadrichromie, demande aux camarades de fabriquer leurs affiches à la main. Je dis bien leurs affiches, et non les tiennes ou celles de ton parti. Alors là, dans le bouillonnement de l’imaginaire retrouvé, j’en mets ma main au feu, il te suffira de glisser des vérités touchant au quotidien pour que le peuple se rassemble autour de toi, réfléchisse à son tour et nous emboite le pas.

• Ensuite, les PG, GU, GA et autres partis, y compris le PCF, sur lequel je préfère ne pas m’appesantir… là, camarade, je te le dis franchement, c’est l’horreur. À la base de la pyramide, on se regarde en chiens de faïence, on se tire dans les pattes, on choisit immanquablement le moins disant, et quiconque se permet une originalité est aussitôt mis au placard. Car toute idée née de la jeunesse d’esprit épouvante l’appareil partisan, surtout lorsqu’elle remet en question la pensée unique sévissant à la gauche de la gauche, plus dangereuse encore que celle où s’est enlisée la droite.

• Enfin camarade, si je puis me permettre, ne prononce plus, avec ce mépris dont tu ne te départis jamais à leur égard, ces mots de vérités révélées, rendus épouvantables sous ta langue.Comme si les vérités, lorsqu’elles échappent aux raisonnements réducteurs des Descartes et des Marx pour aller s’épanouir dans la vastitude, être captée par un cerveau humain, y engendrer une utopie qui ne pourra que s’inscrire dans la réalité future, appartenaient à quelque secte mortifère, à quelque église dispensatrice d’opium. Je te dis cela parce que je me situe profondément de gauche, comme toi, que je suis on ne peut plus universaliste, comme toi, et que je crois comme toi en l’émancipation inéluctable de l’être humain. Sache d’autre part que je ne suis pas parvenu à ce credo par un raisonnement quelconque. Aucune logique n’a permis à quiconque de s’élever au-dessus de soi-même. Simplement, l’esprit universel dont se nourrit l’esprit de l’Homme s’est un jour, par le biais de la Voie Lactée, emparée du petit garçon que je fus il y a longtemps, et l’a ensemencé.

Reviens-nous vite, camarade !

PS.:

Je viens d'écouter ton discours de clôture de Grenoble… Tu n'es pas parti, te voici plus convaincu, plus convaincant que jamais. Si tu savais comme ton idée de remplacer le "rassemblement de la gauche" par la "fédération du peuple" m'a transporté de joie… Enfin, nous allons échapper à l'ambiguité existant entre la gauche de la gauche et la fausse gauche de Hollande ! Mais les militants accepteront-ils d'oublier leurs appartenances à des partis politiques aujourd'hui obsolètes ? Je l'espère, mais l'expérience me fait en douter.

J'ai honte de ce que je vais ajouter mais tant pis : J'ai hâte que Marine Le Pen nous remette les idées en place.

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