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Chronique, virgule
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15 janvier 2010

Capitalisme, la chute et ensuite

 

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TABLE DES MATIÈRES

 p.  7 :  En ouverture

28/12 : Bonheur

29/12 : Ne pas baisser les bras

30/12  – Le front des luttes

p.13 :  Refaire le monde

4/01 : La peur

p. 21 : De l’insouciance aux tracas

7/01 :  Développement spirituel

p. 35 : Voyons le  capitalisme, ein, zwei, drei, se diriger vers sa dernière demeure

9/01 :  Le parti à la rose

p. 49  : Fichu, le système ! Le vent de l’histoire nous le chante à l’oreille

14/01 :  Du côté de l’investissement

26/01 :  JLM et JC

p. 57  :  À nous d’inverser le mouvement menant nos sociétés au désastre

27/01 :  Respect de tous

p. 65   : La république conduit au socialisme, devinait Jaurès. Alors pourquoi, cent ans après, le socialisme demeure-t-il aux abonnés absents

 29/01  : Sac de m…

p.75     : À deux doigts d’explorer l’univers, abandonnons les idées mortes

 27/02 :  Partage

p. 83    :  Au-delà des miasmes financiers, un parfum de bonheur

p. 97     :  Jusqu’ici, le marxisme nous a guidés. Changeons à présent de point de vue

17/02 :  Tunisie

p.109  : En cette heure où l’Empire agonise, rassemblons nos idées

p. 117  : Finance et terrorisme

p. 118  : Le Chemin

p  121  : Remerciements

p. 122  : Annexe


 

Refaire le monde

 (…)

Stupidement, sans nous en rendre compte, comme rompant le cordon nous liant à maman, nous nous sommes éloignés de la frugalité pour vivre dans un univers à ce point complexe que personne, de peur de provoquer une catastrophe, n’ose lever le petit doigt. Mais gardons-nous de nous jeter la pierre. Plutôt qu’un choix, c’est la peur de perdre ce que nous possédons qui nous interdit de bouger. Puisque nos ancêtres sont parvenus à se tirer d’affaire, demandons-nous malgré tout pour quelles raisons, alors que nous n’avons plus rien à redouter, nous voici qui tremblons.

Prenons un nouveau-né de quelques jours. Pas plus qu’il n’a opté pour la vie, il n’a bénéficié de la faculté d’accepter ou de refuser le monde qui lui ouvrait les bras. Plus tard, ses seules initiatives concerneront l’organisation d’une société existant avant lui. Aussi n’aura-t-il d’autre choix que se fon­dre à son tour dans le mouvement général.

L’individu et le cercle de sa parenté, de ses connaissances et de sa tribu (à un stade supérieur celui de la nation regroupant les tribus, en finale celui de l’humanité englobant les nations) sont à quelques détails près constitués de la même pâte, formés des mêmes atomes, sujets aux mêmes préoccupations et aux mêmes espérances. Que l’homme eût été conçu dans le ramdam de quelque saillie céleste, qu’il résultât d’une lente évolution, descendît de la bactérie ou fût le fruit de quelque intervention extraterrestre ou divine ne change rien à l’affaire. Si chacun vient au monde sans l’avoir désiré, il en va de même de ses semblables. Encore que notre espèce, à la différence de ses rejetons, n’eut personne qui pût la bercer, aucun maître qui lui enseignât le bien, le mal, les choses à faire et celles à éviter. Sortie de la boue, tombée du ciel ou descendue du singe, son cousin, elle dut à la force des bras  se tirer de la fange.

Conséquence : il lui fallut des millénaires pour parvenir au degré de confort, de connaissances et de richesse dont, suite à nombre d’erreurs, d’hésitations et d’emballements, nous bénéficions aujourd’hui. Aussi, du haut de notre troisième millénaire, consi­dérons avec modestie les générations qui nous engendrèrent. Et mesurons plutôt de quelles an­goisses, espérances et désillusions elles durent payer leur lente acquisition de la parole, des arts, de la lecture et des mathématiques, paliers d’une évolu­tion que nous sommes seuls à poursuivre, du moins en apparence, dans l’univers terrestre du vivant.

Inutile donc de reprocher à nos ancêtres les arrêts, zigzags et volte-face qu’ils accomplirent depuis leurs premiers pas, de leur tenir rigueur des sociétés plus ou moins bien ficelées qu’ils nous lèguent. Nul ne reprocherait au sauvageon de ne pas bien se tenir, et le degré de civilisation atteint depuis la conquête du feu, les progrès accomplis dans le domaine du respect de chacun, nous invitent à nous pencher sur notre devenir, à prendre les avis de nos philosophes — et pourquoi pas de nos thérapeutes. Que notre foi en nos vertus nous aide à nous engager dans une voie moins sanglante que celle que nous avons suivie depuis que nous tenons sur nos jambes.

Palestine, Syrie, Afghanistan, Tchétchénie… Longue est la liste des lieux où l’on ne sait dialoguer qu’à coups de poing, comme demeurant à l’époque où le langage n’existait pas, où la seule façon de se faire comprendre, malgré que les prophètes aient de tout temps prêché le pardon, était de ramasser une pierre, de la lancer à la figure de son contradicteur.

Mais qu’importe l’autre, considéré comme un gêneur par qui ne s’intéresse qu’à son nombril, à sa couvée et à son compte en banque, et qu’indiffère le reste. Semble pourtant se produire, au-delà de l’égoïsme en vigueur, l’amorce d’une transformation. Depuis quelques années, des voix s’élèvent contre l’injustice, réclament l’égalité, le droit à la nourriture, au logement, à un enseignement de même qualité pour l’enfant de la brousse et celui de l’opulence. Avec l’entrée en scène de l’écologie, ajoutons le souci de respecter la terre et ce qui y prolifère, de la tubercule à la fleur, de la fourmi à la baleine, et nous trouverons là matière à espérance. Encore nous faut-il reconnaître que notre indignation n’interpelle guère les citoyens de droite. Comme si la droite n’admettait de liberté que pour monter ses entre­prises, exploiter ses semblables, leur interdire l’accès à ses propriétés, non pour les éduquer. Après s’être transformée elle aussi, mais dans le mauvais sens, elle représente en cette heure la garde rapprochée d’une caste argentée redoutant le peuple, lequel envisagerait de la priver de ses privilèges.

De la même manière qu’elle fulmina contre l’abolition de la peine de mort, contre la pilule qui allait libérer le plaisir féminin, amoindrir le mâle et dépeupler les nations, avant cela contre les souverainetés indochinoise et algérienne, et si peu passionnée par la santé de ses gens qu’elle s’acharne à hurler contre les 35 heures, la droite renâcle devant la moindre avancée sociale. Et la voici qui se dresse, de concert avec sa caricature bleu marine, contre l’égalité devant le mariage, à commencer par celui des homosexuels des deux sexes… Cependant, rien que de normal à son attitude : si nous revenons sur nos pas, nous la retrouvons pareillement opposée à l’idée de république, bonapartiste quand fut passé le temps de la monarchie de droit divin, puis attachée à l’Empire, naturellement antidreyfusarde avant de se mettre au garde-à-vous devant le Maréchal.

Gardienne de la fortune et de la finance en cette période de remise en question du système, elle constitue le principal obstacle à l’émancipation de notre multitude. Souhaitant mettre le monde en rang afin que l’ordre règne, réduire le peuple à une masse corvéable à merci, elle se voue à ses seuls intérêts sans que sa bonne conscience y trouve à redire. Et à cette droite qui refuse le changement, qui se récrie à la moindre revendication populaire, se joignent les caciques du PS, lesquels osèrent se faire représenter, face à leur opposant (un de leurs affidés avant qu’il n’ait claqué la porte de leur parti), par un ministre à la probité douteuse.

Mais à la gauche de ce PS en déclin s’appliquant, en échange de la bienveillance des nantis, à cirer les bottes des chevaliers du CAC tandis que se multiplie le nombre des chômeurs, à la gauche donc de ce Parti socialiste qui ne mérite plus son nom se réveille la conscience de classe — classe non plus ouvrière mais citoyenne — soutenue aux présidentielles de 2012 par un tribun assez charismatique pour rassembler des centaines de milliers de citoyens tirés de leur torpeur. En butte à l’insolence de ses adversaires, cette gauche en refus d’incurie se jure de mettre la holà à l’injustice, à la rentabilité de rigueur, à la compétitivité vaille que vaille, à l’addiction au toujours plus, toujours plus de produits, toujours plus de profits, et fumez les usines. Car le capitalisme financier, conforté dans ses manigances par un cynisme indécrottable, ne se contente pas de dominer. Encore lui faut-il s’emparer de tout, et rien ne lui échappe : ni le charbon, ni le pétrole, ni le gaz, non plus que l’eau et l’air. Et voici, par le biais des semences que dispense gratuitement la nature (gratuitement, quelle horreur !) qu’il s’en prend à la vie par le biais du génie génétique… De la sorte, par-dessus les problèmes financiers et sociaux créés par la tonte régulière du troupeau, vient de lui appa­raître une nouvelle occasion de s’enrichir, autrement plus rentable que les précédentes : la catastrophe qui risque de nous réduire à néant si nous ne prenons d’urgence les mesures qui s’imposent : la catastrophe écologique à laquelle, appâté par les profits qu’il espère en tirer, il prétend s’opposer.

Or, à quoi s’emploient ses “experts“ devant la pollution grandissante, devant le réchauffement cli­matique, devant le nombre croissant de tsunamis, ouragans, incendies et déluges ? Réunis à Rio aux frais de la princesse, ils ouvrent le Sommet de la Terre, rabâchent et remâchouillent les décisions du précédent sommet, s’accordent sur une prochaine rencontre et, à quelques encablures des favelas, lèvent leurs verres et se congratulent. Pendant ce temps on taille dans les forêts pour y cultiver l’OGM, on fracture le sous-sol, pour y puiser de quoi remplir les réservoirs de millions de camions asphyxiant les alpages. Et allons-y pour la traque des derniers éléphants, et que les obèses engraissent, que s’engloutisse le monde et que s’emplissent les poches — mieux vaut faire envie que pitié. L’économie hélas en berne, la compétitivité à l’eau, et l’Europe qui patauge, et le chômage qui grimpe… alors dernier effort, serrez-vous la ceinture, faites confiance au Marché, permettez aux requins de s’ébattre, aux gorets s’en fourrer plein la panse. En attendant, les gars, voyez tel cancrelat s’envoler vers son paradis fiscal, tel autre s’agenouiller devant le dieu dollar, sa Sainteté le pape et le tsar Vladimir ! Que leur importe l’Afrique livrée à la voracité de firmes sans foi ni loi, que leur importent les perdants, que leur chaut le dauphin arraché à la mer pour servir d’attraction dans les enclos où Mickey, Superman et MacDo accueillent en fanfare et achèvent de plumer les gogos que nous sommes.

Avant qu’il ne soit trop tard, frères, sœurs, ouvrons les yeux sur les canots de sauvetage qui emporteront d’ici peu les responsables de la catastrophe… Et pleurons à chaudes larmes, aucun de ces créateurs de richesse n’invitera le moindre d’entre nous à le rejoindre sous les cocotiers.

En guise de festin, c’est à un repas funèbre que nous convient le capital et ses traders, ses tricheurs, ses dealers. Voyons sous les fenêtres du Bengladesh se succéder les défilés de haute couture, et voyons-nous tels que nous sommes, nous qui cirons les souliers de la haute. À un Jaurès qui nous a mis en garde, à un visionnaire qui nous a invités à ouvrir les yeux, nous avons préféré des pantins — le dernier d’entre eux aux allures de pater familias. Un ersatz de papa, une caricature de papy, un suprême de Flamby qui, à peine installé, nous cloue devant les licenciements boursiers, la marche arrière et le chômage, derniers remugles de l’époque.

Sans espérer le moindre sursaut de nos élus, crions notre dégoût. Mais avant cela, pour nous permettre de réfléchir, voyons-nous offrir à un chef d’État sans vision, porté là où il est par les exploits d’un forcené du chibre, une majorité lui permettant de mener à son terme l’enterrement conjoint du socialisme et de la démocratie. Et, de dessous le voile de la honte, sachons que rien ne changera si nous restons à bâiller. Et comprenons que l’air embaumé du changement, le peuple seul peut l’obtenir. Et comprenons que nous sommes le peuple, et que nous sommes le droit !

 

 

De l’insouciance aux tracas

(…)

Les Républiques qui se sont succédées depuis Capet, la première, puis la seconde, la troisième, etc., ne furent que les succédanés de celle pour laquelle le peuple s’était soulevé, avait tenté de ramener son roi à la raison pour ensuite, faute d’y parvenir, lui offrir l’échafaud.

Ce que souhaitaient les sans-culottes ne pouvait être, en remplacement d’une monarchie dont ils s’étaient défaits, un gouvernement d’usuriers et de trafiquants. Mais leur souhait demeura lettre morte, et sous l’action d’aigrefins décidés à nous exploiter, nous, arrière-arrière-petits-enfants d’une fraternité contre laquelle s’était dressé tout ce que l’Europe comptait de dentelles, de soutanes et de couronnes, l’argent est revenu aux commandes.

L’œuvre entreprise à la Bastille est à remettre sur l’établi, à reprendre là où trébucha la Révolution dont les échos perdurent, en bref avant que ne la dépècent crocodiles et banquiers. Si le peuple n’est paraît-il qu’un enfant (un grand enfant précise-t-on en lui caressant le poil), pas plus qu’un gosse il n’oubliera qui l’a blessé, qui l’a trahi ou l’a frustré. Il n’est pour s’en convaincre que de considérer le coup de semonce survenu un demi-siècle plus tard, alors qu’à l’Empire avait succédé la Restauration : la révolution de 1848, embrasa à son tour une grande partie du monde. Il faut dire que les peuples, dans la promiscuité des arrière-cours où on les reléguait, formaient une même fratrie.

Hélas, de dessous son vernis de façade, la pieuvre capitaliste glissait ses tentacules au plus profond de la société. Elle possédait l’argent, elle avait avec elle la loi, le clocher, la police, les fusils, et ce n’est pas Karl Marx qui put la bâillonner ni l’inviter à regarder plus loin que le gonflement de sa bourse. En 1848, née de la souffrance prolétarienne, une insurrection à objectif démocratique et social, une révolution réclamant pour les ouvriers et les petites gens, de manière à mettre un terme à l’exploitation négrière des femmes et des enfants, le droit de s’associer, comme la précédente fit long feu. Elle fut de plus réprimée sans pitié, et la foi révolutionnaire trouva son achèvement, apparemment définitif, dans les représailles qui menèrent au tombeau, deux décennies plus tard, la Commune de Paris. Requins, vipères et vautours purent alors festoyer à visage découvert. Rompus à l’égoïsme, ils surent se protéger de lois rédigées de leurs mains, votées par leurs élus, mises en application par des politiciens tenus en laisse par des prébendes et des dessous-de-table, des cigares, du champagne, des cocottes au dessert. Ce qui les poussa à générer par leur fringale une série de banqueroutes les amenant à déclencher, en vue de noyer le poisson, une première guerre mondiale (dix millions de morts), puis une seconde en réponse à la crise de 29 (cinquante millions cette fois). Si bien que voici ces bels gens, terrorisés qu’ils sont par la vision d’un effondrement général des banques, prêts à remettre le couvert.

 

 

Voyons le capitalisme se diriger vers sa dernière demeure

 (…)

Maintenant, frères et sœurs aux fins de mois hasardeuses, vous qui attendez autre chose de la vie qu’une course contre le temps qui manque, contre l’argent qui fait défaut, cela pour un plaisir de vivre que vous ne connaîtrez pas… maintenant cette question : que feraient-ils sans vous, ces personnages qui ne savent ni clouer, ni souder, ni remplacer une puce… qui ne comprennent que les courbes, n’envisagent d’autre action que virtuelle, ne savent cogiter sans écran, ne prennent de décisions que dans leur intérêt et qui, dévoyés par le bourrage de crâne que leur a dispensé la Harvard University of Alpha+, pareillement détournés du réel par l’illusion du luxe… comment de tels virtuoses en virtualités potentielles, c’est-à-dire en rien, comprendraient-ils qu’un subalterne sous-payé ne sera jamais à l’aise devant leur magnificence, ne gagnera qu’à reculons son poste de travail, et qu’en finale ce n’est pas en s’y prenant de la sorte, en marche arrière et à rebrousse-poil, qu’on fait progresser le Schmilblick !

Et si c’était à notre tour, Messieurs, à NOTRE tour à nous, forces vives du cambouis, de prendre vos affaires en main et de vous surveiller, de vous coller au gnouf au moindre franchissement de ligne blanche… eh bien notre monde irait mieux. Vous y découvririez la joie de fraterniser avec le technicien de surface, de taper sur l’épaule du plombier, et nos ZUP et nos ZAC et resplendiraient du parfum généreux de la fraternité. Tandis qu’aujourd’hui, humez les effluves de votre productivisme, le fumet de vos campagnes asphyxiées par les pesticides dont vous tirez votre fortune si ce n’est votre fierté… Vous meurtrissez la terre, vous ignorez si bien les petits malheurs d’autrui que le berceau de l’humanité, souillé du béton de vos certitudes, dévasté par l’acier de votre morgue, sera bientôt aussi inguérissable que vos cochons de batteries, vos poulets aux hormones et vous-mêmes.

Le pire est que la faute n’en revient ni à Voltaire, ni à Rousseau, ni même à vous. La faute en revient à nous autres, qui n’avons su vous contrôler, ni n’avons su vous protéger du vice, ni n’avons su vous entasser sur la charrette menant à l’échafaud.

La faute en revient à l’accumulation sous laquelle vous dissimulez votre peur de manquer, les névroses qui en sont la cause. Plus personne ne conteste les méfaits de votre consumérisme, de votre exploitation irréfléchie du sous-sol, non plus que des gaz qui vous ballonnent. Depuis l’apparition d’écologistes par vous considérés comme des jean-foutre, vous  auriez pu y réfléchir et vous ressaisir à temps, envisager des processus autres que chronométrés, calibrés, imposés par la hâte. Mais vous restez fermés à votre cœur, barricadés dans votre ego, si bien piégés dans vos contradictions que vos rivalités, rehaussées de la concurrence des nations, abou­tissement de la lutte de chacun contre tous pour des parts de marché, vous encouragent à fabriquer le poison d’un suicide général.

(…)

 

Fichu, le système ! Le vent de l’Histoire nous le chante à l’oreille

(…)

Tiré des Écritures, à mi-chemin de la légende et de la réalité, un récit parmi d’autres mérite qu’on s’y attarde. Celui de la parabole du Veau d’Or, illustration on ne peut plus parlante de l’aliénation que provoque l’argent.

Passons outre à la grimace de camarades ne batifolant guère du côté du divin. La seule vue d’une croix les accable, et s’ils préfèrent de loin, outre la contemplation de la faucille et du marteau, l’étude et l’analyse du Capital, ouvrage essentiel à leurs yeux (ce en quoi ils voient clair), plutôt que la lecture du Livre (qu’ils en soient blâmés), ils trouveraient dans les pages de la Bible de quoi les éclairer, les ouvrir aux symboles, assouvir leur besoin de connaissance, nourrir leur réflexion. Ils se rendraient alors compte que rien ne les sépare de ceux des chrétiens qui n’ont besoin ni d’encens ni de sermons pour parvenir à la vision du vrai. Tout est affaire de point de vue, d’éclairage, de disposition à se plonger dans l’obscu­rité pour mieux atteindre la lumière.

Marxistes, libres penseurs et croyants travaillent à un monde où triomphera le bien et dans lequel hommes et femmes, cessant de s’entredéchirer, se rejoindront dans l’égalité, la fraternité et la paix, parfois même l’amour. Evidemment, le croyant ne perçoit cet éden qu’au-delà mort — conte à dormir debout aux yeux des matérialistes, encore que certains devinent en Marianne une réincarnation laïque de la Vierge Marie… Mais laissons cela de côté, revenons au Veau d’or, parabole où chacun trouvera matière à réflexion.

(…)

Si la gauche invite à laisser le passé derrière soi, à se projeter vers le futur, à se porter vers l’aperçu d’un double dont on devine la présence en soi, et vers lequel on se dirige, la droite à l’inverse conforte dans l’idée qu’on doit rester tel que l’on est, ne désirer que son enracinement dans une réalité loin de laquelle on serait en péril. Satisfait de son sort, on se prend alors de passion pour l’argent qui rassure, pour le pouvoir qui protège, pour le matérialisme préservant du doute, en un mot pour le Veau. Et si le matérialisme, en son refus de suivre l’utopie, incite à transformer en certitude la vérité de passage, il pousse en même temps à rejeter la chimère, jugée dangereuse par ceux-là même qui la redoutent. Le matérialisme et le capitalisme (autrement dit la droite), en leur refus de tout vagabondage, se verront alors défendus bec et ongles par les gardiens du Temple. La gauche au contraire, en ce qui la lie à l’illumination des origines, au Verbe avant que ne l’aient souillé le pouvoir et l’argent, se révèlera plus proche de cette humanité que nous avons tant de mal faire nôtre mais dans que nous sommes appelés à conquérir sous peine de disparaître.

(…)

 

 

À nous d’inverser le mouvement menant nos sociétés au désastre

 (…)

notre monde semble une mécanique sur le point de casser, un train filant vers le malheur.

Dans la locomotive se tiennent les rois, les présidents et les milliardaires. Ils voient tous le danger mais n'ont pas le courage d'appuyer sur le frein, de s'arrêter, de réfléchir un seul instant. Si l'un d'eux s'avisait de le faire, les autres le jetteraient par la fenêtre. Car ils savent tous que si le train s'arrête ils n'auront plus le pouvoir.

Pendant ce temps, dans les wagons voyage une bande de ouistitis qui se demandent où ils vont, et qui commencent à s'effrayer car le train va si vite qu'ils n'ont pas le loisir de voir les paysages, ni de profiter de la vie.

Cet équipage emporté par la course au Veau d'or, c'est vous, c'est moi, ce sont tous les hommes, toutes les femmes, tous les enfants de la terre.

Je ne dis pas cela pour vous effrayer. Je dis cela pour que vous soyez prêts, quand le train déraillera, à vous aider à sortir des wagons fracassés. Pour que vous tendiez une main secourable à votre frère et à votre sœur, à votre voisin, à la famille restée coincée dans le train du malheur.

Cette nuit, songeant à cela, je vous ai si bien devinés dans les ferrailles tordues que je n’ai pas dormi.

C’est alors que cette phrase m’est revenue à l’esprit. J’ignore qui en est l’auteur, celui qui me l'a rapportée ne le savait pas non plus :

 L’argent est le dernier ricanement du singe

(1) Extrait de " Pour vous, les enfants."

 (…)

Si notre écosystème s’effondre, la responsabilité en reviendra au matérialisme, en conséquence aux régimes ayant prôné cette seule façon d’appréhender le monde : le capitalisme anglo-saxon et le commu­nisme stalinien, autant dire les deux formes d’un même cauchemar : paillettes et illusions d’un côté, dogme et goulag de l’autre. Sans oublier la bombe chargée de maintenir les nantis en alpha, les travail­leurs en béta- ou pire, et le pire est à nos portes.

En 1990, le despotisme stalinien est tombé de lui-même et le dogme matérialiste, sans coup férir, s’est rué  sur le monde libre. L’évidence que le Marché allait tout réguler a remplacé la croyance en l’infaillibilité du petit père des peuples à l’Est, en la vertu démocratique à l’Ouest. Et ce fichu marché, non content de s’imposer dans nos pays, a pénétré la Chine, la conviant au banquet de la toute-puissance. L’Empire du Milieu cependant, tenant d’une main le gourdin et de l’autre la carotte, osant la synthèse du bagne et de la fortune, ne pourra perdurer que tant que son armée, protectrice des magouilles, se soumettra au PCC (Parti communiste chinois), lui-même à genoux devant le Veau d’or.

Mais ce collectivisme à rebours et ce capitalisme débridé ne pourront se maintenir que par un tour de vis doublé de la pose d’un bâillon. En conséquence, tant que le profit tiendra les rênes, l’humanité ne pourra que guetter l’explosion de sa chaudière, la pulvérisation de sa locomotive, le déraillement de son train de vie. S’accomplira alors, mieux encore qu’à Fukushima, le ménage de printemps auquel personne ne voulait se résoudre.

L’immobilisme actuel, au sein d’un univers en constante expansion, ne pourra cependant perdurer. Là se situe notre chance, celle en même temps de l’Europe et du monde si le monde et l’Europe daignent recouvrer l’esprit, couper les moteurs du désordre, s’engager vers l’inexploré au lieu de rester au cul de pachydermes ne comprenant que rien jamais ne s’arrête : ni le développement des utopies, ni la descente aux enfers.

 

 

La république conduit au socialisme, devinait Jaurès. Alors pourquoi, cent ans après, le socialisme demeure-il aux abonnés absents ?

 

Si la question va droit au but, la réponse devrait se formuler rapidement. Or, l’analyse qui va suivre conduira le lecteur à des tours et détours fournissant malgré tout la réponse.

Et d’abord celle-ci : chacun redoute ce qu’il ignore. Ainsi, n’en ayant jamais rencontré un seul sur le chemin de l’école, le bambin s’épouvante dès qu’on en prononce le nom — le loup, hou, hou, le LOUP !… Pareillement, nous constatons chez nos semblables la même propension à se méfier de l’inconnu. À se garder comme hier des portos et ritals (étrangers venus manger notre pain), à présent des arabes (peu catholiques) et des Roms (pilleurs de poulaillers).

C’est d’un même phénomène de rejet dont souffrirait le socialisme, jugé d’autant plus redoutable qu’il n’a jamais vu le jour. Les républiques soviétiques en furent l’envers exact, comme le furent le national-socialisme, le maoïsme et les démocraties “populaires“. Ainsi, nous pouvons comparer la vision que nous en avons à celle de la République vue par l’Ancien Régime : «  Un peuple ne saurait se diriger seul, impossible pour lui de se passer d’un roi, », pérorait la noblesse… Cela pour constater que l’habitude tend à maintenir en place tout système en déclin, qu’il soit monarchiste et rural comme le fut la nôtre, ou libéral et urbain ainsi qu’il est devenu.

Si, en un siècle et demi, la république s’imposa malgré tout, il risque d’en aller de même du socialisme. Encore faut-il prendre en compte le fait que notre République n’est que la parodie de celle dont les principes s’esquissèrent sous la Révolution. Hautement perfectible nous semble-t-elle deux cents ans plus tard, d’autant que les répressions de 1848 et 1871 semblent l’avoir foudroyée alors qu’elle se dirigeait vers le socialisme.

Seconde explication : prônant de principe de partage que peu de gens pouvaient admettre, le socialisme dressa contre lui tout ce que la société comportait d’enfants de chœur. Il faut dire que personne ne s’indignait à l’époque de l’abondance dont bénéficiaient les plus riches : ni le banquier, ni le maître de forges, non plus que l’aristocrate, non plus que le miséreux — celui-là ne faisant aucune différence entre le lard et le cochon, ne comprenant non plus que le seigneur lui permettant de laper sa soupe était celui-là même qui le tenait en laisse. Il faut dire que s’étaient imposées les manières de penser d’époques où le hobereau, veillant sur le menu fretin chargé de son entretien, mettait ses écuries à sa disposition sitôt que tonnait le canon. Image gravée dans les esprits que celle du puissant dont on se doit de respecter le cheval.

Troisième raison : dès le Second Empire, la droite devenue républicaine s’est arrangée pour vider de son sens le terme de socialisme, puis lui prêtant des revendications à n’en plus finir (tu donnes un œuf, on te réclame un bœuf). Ainsi la droite ne manque-t-elle jamais l’occasion de pointer du doigt, le jour où s’envisage la nationalisation d’une entreprise dont elle s’estime propriétaire, de pointer donc, sans voir ce qu’il en est de son côté, les exploits de Staline et Mao en matière de droits de l’homme. C’est donc avec bonne foi qu’elle glisse entre les dents du socialisme la lame ensanglantée de la terreur.

 Ultime explication : les agissements des socialistes eux-mêmes.

Encombrés de feu leur idéologie, privés de la colonne vertébrale qui les maintenait verticaux, les voici multipliant les impairs. En la personne d’un Cahuzac, voyez-les s’efforcer de mettre à mal le seul adversaire qu’ils redoutent (en vérité l’irruption de leur conscience dans leur autosatisfaction), faire du pied à la droite, rejeter la lutte des classes et se rallier les patrons du CAC, de loin plus importants que les gagne-petit de la classe ouvrière. Mais rien que de normal à une telle attitude : le bobo fier de lui ne confond pas sa serviette repassée avec les chiffons qui servent d’essuie-mains aux ouvriers de Florange.

(…)

Courageux PS, entré dans le troisième âge avant d’avoir été majeur… Et glorieux PS, qui se fiche d’entraîner à sa perte l’ensemble de la gauche. À l’image de ses pairs, il a gagné l’Annapurna de la compromission, le voici dans les nuages.

(…)

Si l’expérience nous permet de connaître d’avance le devenir d’un nourrisson, conçu pour ressembler à ses parents et non à un moustique ou un chat, rien ne s’oppose à ce qu’il en aille de même de nos nations. Considérons donc ceci : tant aux plans individuel que collectif, nous n’avons désiré ni remis en question l’existence qui nous fut donnée, et pas plus que nous avons eu notre mot à dire lors de notre conception, nous ne l’aurons dans le passage du passé que nous allons représenter au futur devenu par la force des choses le présent de notre descendance. Pareillement, nos amours traduiront, comme chez tout être vivant, l’obéissance à l’instinct de reproduction, doublé chez nous, en vertu de l’étincelle d’humanité sans laquelle nous ne serions que des brutes, à l’appel du lointain, de la globalité, de l’infini.

Si chacun aspire à la liberté, si chacun se révolte sitôt qu’elle se refuse, c’est que la liberté est le moteur de l’ascension vers une conscience plus large, ouverte à l’univers. Or, à quoi assistons-nous en cette période critique ? Alors que nous possédons tout ce dont n’auraient rêvé nos parents, nous nous sentons sombrer dans une régression dont nous voyons à peine à l’ampleur. Comme si l’obligation de consom­mer et accumuler nous avait en un demi-siècle non seulement tenus à l’écart du rayonnement de l’esprit, mais persuadés de nous en protéger par une pléthore de règlements, de normes, de codes et de sens uniques — en un mot par la multiplication de processus réservés d’ordinaire aux automatismes, c’est-à-dire à l’inverse de ce que réclament cons­cience et liberté.

Ce qui nous fait défaut, à nous qui accédons à la santé, à la satiété, en bref à tout ce que nos ancêtres n’osaient désirer, tient à peu de chose, à rien si l’on y réfléchit, en vérité à l’essentiel, au BONHEUR. Au simple bonheur. Or, comme le comprit voici quarante ans le Dr Alexander Lowen, inspirateur d’une théra­peutique nouvelle à son époque, le bonheur ne peut provenir de possessions aussi précieuses soit-elles (il s’agirait alors de satisfaction), mais de sa propre progression, autrement dit de la conscience de croître. Et nous le constatons : alors que l’enfant, au cours de son développement, traverse une période radieuse, nos sociétés nous paraissent à bout de souffle. Elles ont cessé physiquement de se déve­lopper et leurs élites, au lieu de les encourager à s’élever, les invitent à réduire leurs dépenses et réduire leurs dettes, toutes réductions participant d’un recul au regard de sociétés moins évoluées que les nôtres, en vérité mieux armées pour affronter l’avenir car plus jeunes, plus proches de leur essence, plus confiantes en la vie.

(…)

À l’évidence, la fin du capital s’inscrit dans le capital lui-même, dans le système que l’aveuglement a permis de mettre en place et qui, sentant venir sa fin, incapable de la dissimuler derrière une morale bafouée depuis toujours, répand sa pestilence sur la totalité du monde. Et cette totalité, à qui l’on a fait croire qu’elle baignait dans le bonheur, de découvrir que le bonheur est ailleurs. Et le totalitarisme de l’argent de nous sembler un prolongement des murs dressés entre la schlague et l’absence de barreaux, entre ce vers quoi on nous mène et ce à quoi nous convie l’Histoire.

Afin de nous réapproprier notre liberté, de gagner ce pour quoi l’Équateur, l’Argentine et l’Islande ont repoussé les chiens du FMI, il nous faut nous remettre debout. Le capitalisme et son alter ego, le libéralisme, ont fait de nous des êtres sans audace, affairés à des riens, oublieux de ce que sont droiture, dignité, grandeur d’âme.

(…)

 

À deux doigts d’explorer l’univers, abandonnons les idées mortes

(…)

Dans les années 1789 et suivantes, remettant en question l’autorité royale à la faveur d’une explosion de colère (terme sans doute impropre à désigner une révolution qui modifia les manières de penser, mais il s’agit ici de poursuivre le parallèle entre l’individu et le groupe), le peuple décapita son roi. Entendez par là, pour changer d’échelle et nous en référer à Freud, qu’il a tué le père, se permettant ainsi de voler de ses propres ailes. Après quoi, claquant la porte d’une période qu’il jugeait terminée, il s’engagea sur le chemin de sa maturité.

Si la noblesse dut faire le deuil de son trône, si le clergé perdit de son influence, la souveraineté finit par échapper à un tiers état demeuré immature. C’est ainsi qu’elle échut à la bourgeoisie, seule classe qui possédât le levier de l’argent. Quant au niveau de conscience politique qu’avaient tenté de nous transmettre les philosophes, il s’abima dans le matérialisme. Dès lors, notre évolution se limita au tangible, et quiconque remettait en question les lois de la production se voyait éliminé. Sans coup férir ou presque, le productivisme et ses outils (la banque et la propagande, à laquelle s’ajouterait plus tard le traitement de l’information), prirent donc le pas sur toute forme de progrès autre que matériel. À noter que le marxisme, relais d’une révolution coupée de ses sources, ne laissa de son côté que peu de place à l’imagination. En butte aux railleries du capitalisme, incompris du peuple, il n’eut d’autre choix que se réclamer lui aussi de la matière, si bien que l’utopie disparut des écrans. Subsista malgré tout, dans les arcanes de l’âme humaine, le besoin de valeurs autres que matérielles. Et si l’influence de la religion diminua, le besoin de croire se reporta sur le socialisme, plus tard sur son prolongement, le communisme pour aboutir de nos jours, expression de notre mal-être et de nos angoisses, dans des sectes douteuses liées au dieu dollar.

Conflit entre besoin et crainte, utopie et nécessité de reprendre son pouce ?… Peut-être est-ce là une explication, mais ce n’est pas la seule.

Si le matérialisme, en ce qu’il enchaîna Marx aux lois du capital, a étendu son influence et imposé ses vues, s’il a permis le développement de l’industrie et contribué, par l’abandon du cabas de la pauvreté au profit du charriot de l’abondance, avec en corollaire un accès au confort, ce n’est pas sans raison. Et s’il est vrai que le règne de l’argent ne laissera derrière lui que désordre, il est tout aussi vrai, encore que nous soyons assez lâches pour lui permettre de derniers méfais, que nous devions en passer par lui avant d’envisager le socialisme.

(…)

Dès son apparition sur la scène du pouvoir, alors que personne ne pouvait à l’époque juger de sa malfaisance, ce système exécrable s’est imposé comme seul moyen de bâtir l’industrie, de la faire fonctionner, d’en assurer le développement régulier. Des mains soignées de l’aristocratie, le sceptre de la puissance est donc passé à celles d’usuriers ne crai­gnant pas d’en appeler aux fusils pour asseoir leur pouvoir, pouvoir volé à la Révolution, en vérité au peuple dont ils se détournaient. Quel est en effet, parmi les promeneurs bien vêtus confrontés aux cadavres de communards balayés au canon, celui qui aurait dénoncé l’indécence de leur exposition publique ? Pas trace d’humanité de la part d’un système qui imposa par le viol de Marianne et qui, aujourd’hui plus que jamais, simule son attachement à une démocratie qu’il piétine à plaisir. Les Français pourtant, après s’être ébloui de leur Révolution, avoir subi les tyrannies royales et impériales, puis s’en être relevé pour réclamer leur dû, l’obtenir en partie et devoir de nouveau le défendre, eh bien voici ces Français piégés aujourd’hui par le “vote utile“, dernière astuce pour engranger des voix dont on ne tient pas compte. Remarquons cependant que cette stratégie, en ce qu’elle lie le PS à un capitalisme à l’agonie, conduit non seulement ce parti à sa ruine mais, nous poussant en même temps vers le roncier d’une gouvernance mondiale dirigée par les États-Unis, autrement dit par l’argent, c’est-à-dire par le Veau, nous exclue de toute évolution. Il s’agit en effet, sous prétexte de lutte contre les totalitarismes iranien, nord-coréen et paraît-il cubain, de bâillonner le monde auquel on ne cesse de mentir, de le niveler pour qu’y flamboie le bizness, de généraliser le chômage et faire passer misère et frustration pour des fatalités. Raison pour laquelle, soutenu par des régimes esclavagistes, le capital investit dans les jeux du cirque, du stade et de la putasserie. Panem et circenses, opium de la Rome des César, devient l’horizon magique offert par une fin de civilisation aux abrutis que nous devenons.

(…)

 

Au-delà des miasmes financiers, un parfum de plaisir

 (…)

Oublions la guerre du feu, le passage du feuillu au sillon, de la moisson à la métallurgie, de même notre abandon de la forêt au profit de la cité, et regagnons notre époque, voyons-nous sur la Lune : à peine avions-nous accompli trois pas dans sa poussière que notre imaginaire, déjà, nous transportait vers Mars. Nouvelle tour de Babel ? N’oublions pas que nos tentatives de dépassement de notre condition ont pour la plupart échoué et que nous avons mis au point depuis peu, ainsi que constaté, le moyen de notre suicide.

Inscrite dans la cendre d’Hiroshima, notre entrée dans l’adolescence nous permit d’accéder à une conscience plus vaste : si une seule bombe suffit à l’anéantissement une ville, quelques centaines de bombes pulvériseront la Terre… Nous venions de forger là, à la veille de quitter le berceau ancestral, si ce n’est le tombeau de notre enfance du moins de quoi nous amener à réfléchir. Il suffirait de la pression d’un doigt sur un bouton de commande pour que nul ne soit en mesure de constater le résultat de nos égarements.

Affrontement entre la vie et la mort, passage brutal, chez les plus mûrs d’entre nous, de la simple notion de soi à une conscience qui nous gratifiera, si les petits cochons ne nous mangent pas, du chaud vêtement de l’être humain dont nous ne sommes que l’ébauche. L’ébauche, c’est-à-dire la promesse d’une évolution dont nous avons du mal à concevoir le résultat, mais dont notre intuition nous murmure qu’elle sera. Et voici, aux quatre coins du monde, que des millions d’humains se préparent à muer, à franchir la barrière de l’ego, à s’élever sur l’échelle qui déjà, les tirant de l’ignorance, leur offre l’aperçu de fabuleuses terres vierges.

(…)

Que s’exprime à présent, depuis la place Saint-Pierre et les tribunes républicaines, ce que le cancer de l’argent a toujours méprisé, le bon sens, et rem­placé par le marché, le profit, l’enrichissement d’une poignée de parasites sur le dos des bonnes gens. Renouons avec la parole du cœur, et que les Rapetou rendent aux métallos de Florange, aux paysans mexicains ruinés par l’oncle Sam, aux couturières du Bangladesh payées un bol de riz pour habiller la prétention occidentale, ce qu’ils leur ont volé. Et qu’ils le fassent de bonne grâce s’ils ne veulent pas que la colère des peuples, c’est-à-dire la colère divine, les cloue devant le désir de vengeance. Ils demeurent nos semblables, accordons-leur une chance, invitons-les à placer leur argent dans le bas de laine de la communauté plutôt que sur le tapis vert du casino, et nous leur pardonnerons.

(…)

En leur immoralité, en leur dérive loin de la réalité humaine, le capitalisme et la droite, inspirateurs en même temps qu’héritiers des pires noirceurs qu’ait connues l’Occident, c’est-à-dire liés à la façon qu’ils ont d’imposer le crime en le maquillant des couleurs du progrès, resteront à jamais en retard sur le mouvement de l’Histoire. Cela pour la raison qu’ils évoluent dans le sillage d’une révolution industrielle datant de deux cents ans, que le calcul des bénéfices leur interdit de voir que l’homme n’a cessé de rétrograder depuis qu’on l’enchaîne à la concurrence — et qu’il en va de même de leurs hautes personnes. Car ce n’est pas en exploitant celui que la détresse et la faim ont poussé vers la salle des machines qu’on parvient à s’élever.

(…)

Un tel gâchis ne se combattra que par ceci : la fermeture des officines de lavage de cerveau et la réappropriation, par les armes si nécessaire, des leviers de commande. Et ce sera à nous, citoyens de nations tirées de leur sommeil, d’abattre les barrières interdisant la progression humaine. La Grande Révolution est à remettre sur ses rails, à rediriger vers la magnifique utopie dont l’ont détournée la consommation jusqu’à plus faim, la production jusqu’à plus rien. À mener plus loin que le matérialisme où l’ont jetée les dévoiements de la parole du Christ et de la pensée marxiste.

(…)

Notre vieille droite, conservatrice et cacochyme, considère l’inconnu depuis son refus masculin de l’être — à l’opposé de celui, féminin, de la confiance mise dans le don de sa personne à la caresse du jour. Prudente à l’excès, en vérité terrorisée par les monstres nichés dans ses recoins obscurs, elle lorgnera vers la sérénité pour en tirer une manière d’agir ni trop aventureuse, pour les raisons qu’on sait, ni trop passéiste, dans la mesure où elle se veut moderne. Entreprise incertaine qui la poussera à rejeter l’audace, autrement dit la maintiendra dans la continuité tout en la poussant, mais ce sera pour elle tenter le diable, à s’éloigner de ses certitudes pour s’en aller flirter avec le doute.

Quant à la clique solférinienne, elle semble dépas­sée. Tentant de gérer, au moyen des outils du passé, le bourbier que lui lègue la précédente majorité, elle avance d’un pas, recule de deux, fait s’esclaffer la bien-pensance tandis que se lamente la gauche. Au point que François Hollande reflète, à un demi-siècle de distance, l’image d’un Guy Mollet déjà vieux à l’époque. Et si Nicolas Sarkozy nous apparaît comme le dirigeant le plus réactionnaire que nous ayons connu depuis Vichy, gageons que son successeur, bien qu’acharné au bien, du moins dans ses discours, sera pendu au gibet de l’histoire pour sa politique aussi rétrograde que celle de son prédécesseur.

Au vu de la une des journaux, point n’est besoin de préciser que ni l’ancienne majorité, fossoyeuse du gaullisme, ni la nouvelle, en sa volonté d’enterrer le socialisme, ne seront en mesure de faire jouer la charnière de l’Histoire sans s’y coincer les doigts, non plus que dépasser le XXème siècle, assassin quant à lui de l’idéal de la Révolution, du Front populaire et de la Résistance. Mais laissons là l’élite à son impuissance et sa démission, passons aux relations entre générations et voyons, dans le système chargé de lier l’esprit et le tiroir-caisse, le refus de rompre le cordon, le choix par conséquent non d’un départ de la nouvelle génération vers on ne sait quoi, mais de son arrêt en rase campagne. La crise qui s’éternise ne pouvant se résoudre sans heurt, il va en résulter dans les années qui viennent, à moins qu’une bonne étoile ne nous désigne un plan B, la poursuite du n’importe-quoi, en conséquence l’envie de tout casser. Ou encore le souhait, pour en finir une bonne fois avant de passer à autre chose, d’un totalitarisme aussi violent que bref.

(…)

 

Jusqu’ici, le marxisme a guidé nos pas. Changeons à présent de point de vue

 

Alors que l’humanité commence à s’assumer, la voici devant des choix : Monsanto ou Kokopelli ? La puissance de l’atome ou le souffle du vent ? Déci­sions d’autant plus difficiles à prendre que la pour­suit la nostalgie de l’époque où ce n’était pas à elle mais à ses dieux et à ses princes, avant qu’elle ne délaisse escarpolette et cerceaux, de déterminer ce qui serait bénéfique pour elle.

C’est à présent à nous et nous seuls, en adultes, de nous déterminer.

Peut-être est-il trop tôt, peut-être ne sommes-nous pas assez mûrs, mais nous ne saurions hésiter plus longtemps. Le danger est à nos portes, le temps presse, et c’est à chacun de nous de mettre un terme aux abus qui nous plombent.

(…)

Changeons à présent de point de vue, regagnons le XVIIIème siècle, voyons s’y pavaner comme chez nous de semblables seigneurs parmi de semblables foules, s’y rencontrer de semblables soucis tandis que la société, malgré qu’il fût impossible à l’époque de franchir les barrières entre classes, s’apprêtait comme la nôtre à muer. Alors que la noblesse régnait sur labours et moissons, que le peuple supportait son sort et n’espérait que sa soupe, l’industrie voyait si bien le jour que les esprits les plus éclairés, mesurant la distance entre le champ et l’atelier, préparaient un changement politique. C’est ainsi que naquit, en même temps que la machine à vapeur, l’idée de république. Partant de là, alors que la transformation du nomade en paysan sédentaire s’était perdue dans la nuit des temps, on passait en un siècle de la société agricole à celle du fer et du charbon. S’esquissa de la sorte, tant dans les taudis du prolétariat que dans les assemblées de philosophes, la vision d’une humanité libérée de ses chaînes, bielles et pistons lui pro­mettant l’âge d’or.

Cependant, tandis que Paris s’acheminait vers la décapitation de la monarchie, la noblesse de pro­vince se cramponnait à ses domaines, à ses chasses, aux privilèges qui la plaçaient, croyait-elle, au-dessus du vulgaire. Peu disposée à s’entailler les mains dans la limaille des forges, non plus qu’à s’y noircir les ongles, non plus qu’à flétrir ses dentelles au cambouis du progrès, elle ne put deviner ce qu’impliquait le machinisme, non plus que les appétits qu’il allait engendrer.

Si cette époque fut pour certains le siècle des Lumières, elle constitua pour le pouvoir en place le début de sa fin. La résistance de la noblesse, ses tentatives de mettre le holà aux aspirations de la rue, la conduisirent devant les tribunaux du peuple. Ce n’est pas qu’elle eût été mauvaise, mais sa lignée remontait à Mathusalem, et son addiction aux plaisirs l’avait rendue imperméable à tout change­ment. Trop occupée par le décolleté des duchesses et le jupon des servantes, elle ne put deviner que s’apprêtait à la remplacer une aristocratie d’affaires dont les membres, instruits des charbonnage et manufacturage qu’elle dédaignait de son côté, auraient tôt fait de la réduire à une caste de parasites qu’allaient porter en terre investisseurs et aventuriers.

(…)

Le passage de l’agriculture à l’industrie, de la traction animale au piston imposa donc le remplacement de la monarchie par un nouveau régime, lequel mettrait un siècle à se débarrasser du précédent, un second à s’établir dans ses meubles. Sans chicaner sur les dates, considérons que royalistes et républicains cohabitèrent jusqu’à la seconde guerre mondiale, à l’issue de laquelle le tracteur enterra à jamais le paysan d’antan, son cheval et son roi. Pour autant, l’agriculture n’allait pas disparaître. Comme il en est de nos jours, elle allait au contraire, titillée par l’aiguillon du profit, décupler ses rendements et réduire sa main-d’œuvre. Si bien qu’en moins d’une siècle elle passa sous le contrôle de l’industrie, autrement dit de la finance, en bref de la spéculation boursière.

La récente apparition de l’informatique ne reflète-rait-elle pas celle du piston de la révolution passée ? À cette question, chacun comprendra que l’industrie, dans sa vassalisation récente à l’informatique, va bénéficier à son tour, sans causer plus de problèmes que n’en provoqua la mécanisation des travaux agricoles, d’un bond en avant dont il serait logique, à condition que le ciel ne nous joue pas de mauvais tour (ici, entrée en scène de l’écologie et retour aux Tables de la Loi), qu’il profitât à tous. Si tel est le cas, les écrans et souris agissant sur des leviers dont ils ignorent la fonction, les capitalisme et libéralisme auront à redouter de l’arrivée inopinée du numérique sur la scène des affaires.

(…)

À ce sujet, voyons de quelle manière il s’accoupla au téléphone pour élargir notre champ d’action, par là doter Gaïa d’un réseau de communications autre­ment plus puissant que celui du pigeon voyageur et des signaux de fumée.

Pour qui ne le saurait pas, Gaïa désigne la terre, la vie qui s’y répand, les énergies qui lient en un même continuum et l’abeille à la fleur, et le champignon à l’arbre, l’individu au tout, l’humanité à l’infini.

 

Dans les années 60, l’armée américaine mit au point un système de liaison d’écran à écran, de disque dur à disque dur, en quelque sorte le maillage qui allait envoyer au musée le morse et la radio. Ce moyen de faire parvenir à quiconque, en une fraction de seconde, tant des rapports que des photographies et des cartes, avait pour objectif de renforcer la puissance militaire des États-Unis. Or, dans le wild west californien vivaient des communautés hippies qui prônaient, en opposition à la guerre du Vietnam,  le LSD, la musique et l’amour. Lesquels hippies, pour la plupart disséminés sur des distances consi­dérables, se prirent de passion pour ces recherches et surent les détourner à leur profit. C’est ainsi, d’après son principal historien, Fred Turner, que le wild west devint le wide web, autrement dit l’embryon de l’internet utilisé de nos jours sur tous les continents par des milliards de terriens de toutes couleurs et toutes appartenances. Et ce wide web conforta les hippies dans l’idée du dépassement de l’ego, de l’élévation du niveau de conscience, de la trans­formation de la société. Laquelle idée, utopique en ce sens où le changement sociétal devait se réaliser en phase avec celui de l’être humain, fut à son tour détournée par le néolibéralisme et mise au service du marché. Il n’en demeure pas moins que l’objectif  premier du net, la mise de la connaissance à la disposition de tous, est à l’ordre du jour.

Le bizness devra donc s’incliner devant la civili­sation du partage conçue par les hippies.

(…)

 

En cette heure où l’Empire agonise, rassemblons nos idées

 

Dans son égocentrisme, le capitalisme ne vise que le toit du monde. Le un pour cent de ses affidés les plus riches espérant, en plus de régner de là-haut jusqu’à la fin des temps, transmettre à leur des­cendance les héritages qu’ils ont eux-mêmes reçus (grossis bien sûr des dividendes accumulés depuis, encore que certains aimeraient tâter d’autres valeurs que de profits), ne voit que son fromage. Mais les quatre-vingt dix-neuf pour cent restant, contraints demain à la frugalité, allez savoir en quel abîme ils vont dégringoler ! À moins qu’ils ne décrètent eux-mêmes l’abolition de leurs privilèges, ne rejoignent le cercle de la fraternité et ne s’attèlent à la victoire de l’humain sur la brute, sans doute devront-ils disparaître.

(…)

Puisque la Terre ne peut passer deux fois par le même point, personne ne revivra ce qu’affrontèrent les sans-culottes. Que le capitalisme s’effondre de lui-même, comme le prédit l’Histoire, ou que nous le jetions  bas, son dépassement ne s’alignera sur aucun des schémas antérieurs. Nous ne sommes plus les foules écervelées du temps de la Bastille, et si la sagesse nous est encore lointaine, s’offre à nous depuis peu le pouvoir de nous diriger de notre propre chef. Reprenons-nous, choisissons la bonne voie, retrouvons la morale du Livre,.

Les banqueroutes manigancées dans le seul but de nous soumettre, la dette dont on nous rabat les oreilles, la reprise qu’on nous fait miroiter pour que nous nous attelions à une locomotive rouillée, tout cela nous laisse froids. Oublions ces âneries, abandonnons le bouclier du tous-pourris brandi par les oligarchies pour nous dissimuler que l’Europe n’a que faire de ses Européens, que les Etats-Unis ont entrepris de la soumettre, que deux milliards de Chinois et d’Indiens sont sur le point de s’éveiller et que nous… et nous, et nous, et nous… et nous qui mous couvrons la tête, nous qui nous mentons à nous-mêmes dans l’espoir de ne boire la tasse que le plus tard possible.

— Et ensuite ? nous interroge notre conscience.

— Ensuite débrouillez-vous, ricaneront nos loups avant d’aller se réfugier, d’aller s’entasser, d’aller se calfeutrer dans quelque caraïbe.

(…)

Réjouie de la pataugeoire politicienne dont elle s’abreuve pour mieux la recracher, Marine Le Pen attend son heure. Mais incapable d’offrir autre chose qu’un curage de latrines, elle ne fait que tirer sur une corde usée. Et c’est à la rupture de cette guenille que la gauche de combat, forte de sa morale et de ses convictions, relèguera la virago derrière les barbelés qu’elle réservait à la démocratie.

(…)

Notre avenir ne se situe ni au sommet de l’égoïsme, ni dans le lit de la turpitude. Alors qu’à coups de fouet il en chassait la corruption, le Christ l’a crié au beau milieu du Temple, il y a de cela deux millénaires. Quant à la domination du plus fort, injure au monde civilisé, elle ne concerne que les animaux, et l’homme n’est pas une bête. Qu’irait-il s’oublier dans un enclos puant.

L’appât irraisonné du gain, l’addiction à l’argent, la couverture qu’on tire à soi sans se soucier d’autrui, tout cela n’a prospéré que par la survivance en notre esprit des gènes entremêlés du serpent et de la hyène. Mais cette époque est à présent derrière nous : dans la fusion des enseignements du christ et de Marx, tous deux ressuscités, s’achève l’âge de la pierre taillée et personne, au sein des civilisations humaines ne pourra plus confondre sexe, pouvoir et accumulation

(…)

 

Le chemin

(…)

Si nous prenons en compte ce qui bouleverse nos consciences, et si nous percevons les raisons de notre stagnation, nous n’avons plus à nous interroger sur l’urgence d’un changement.

Cependant, dans le cas où la révolution à venir créerait de nouvelles normes, tout au plus nous conduirait-elle d’un déséquilibre à un autre, d’un régime béquillard à son successeur mal fichu. Nous franchirions un pas, mais un pas de lilliputien achevé dans les sables.

Une révolution protégée du sur-place pourra seule protéger l’être humain au-delà de quelques décennies. Mais nous n’en sommes pas là, et les ratées de nos économies proviennent d’abord de l’engourdissement de notre matière grise, du sommeil de nos cœurs. Les forces vives ne parvenant à circuler dans les replis de nos cerveaux, non plus que dans les circonvolutions de nos législations, s’accumulent en nos sociétés des énergies néfastes. C’est selon un schéma identique, à l’heure du Titanic, que furent abandonnés les troisième-classe et que quelques soutiers, ignorant les ordres venus d’en haut, débarquèrent à l’air libre. Si une catastrophe de ce genre se produisait à l’échelle de la terre, gageons que la majorité de nos responsables, obéissant à la loi du plus fort afin de sauver leur peau, livreraient à la houle les inférieurs que nous serions à leurs yeux.

(…)

 

Annexe

Cosmogonie des Indiens cherokees

 

Au début, le Grand Esprit dormait dans le rien, et son sommeil était d’éternité. Soudain, nul ne sait pourquoi, dans la nuit, le Grand Esprit fit un rêve. En lui naquit un désir de clarté, et la lumière fut.

Ce fut le premier rêve, la toute première route…

 

Longtemps, la lumière chercha son accomplissement, son extase. Quand enfin elle trouva, elle vit qu’il s’agissait de la transparence, et la transparence régna.

Mais voici que la transparence, après avoir exploré les innombrables jeux de la couleur, s’emplit à son tour du désir d’autre chose. Elle qui était si légère, si diaphane, si insaisissable, elle rêva d’être lourde. Alors apparut le caillou.

Ce fut le second rêve, la seconde route…

 

Longtemps, le caillou chercha son accomplissement, son extase. Quand enfin il trouva, il vit que c’était le cristal, et le cristal régna.

Mais le cristal à son tour, après avoir joué des innombrables scintillements de ses aiguilles de verre, s’emplit du désir de quelque chose qui le dépassait. Lui si solennel, si froid, si dur, il se mit à son tour à rêver, se prit à imaginer la fragilité, la tendresse, la souplesse. Si bien qu’apparut la fleur.

Ce fut le troisième rêve, la troisième route…

 

La fleur, ce sexe de parfum, à son tour chercha son accomplissement, son extase. Quand enfin elle trouva, elle vit que c’était l’arbre, et l’arbre régna sur le monde.

Mais on ne trouve pas plus rêveur qu’un arbre, et l’arbre à son tour fit un songe. Lui qui par ses racines s’accrochait à la terre, il rêva de la parcourir librement, de vagabonder en son sein.

 Ainsi naquit le ver de terre, point de départ du quatrième rêve, de la quatrième route…

 

Le ver de terre à son tour chercha son accomplissement, son extase. Dans sa quête infatigable, il prit tour à tour la forme du porc-épic, de l’aigle, du puma, du serpent à sonnette, si bien qu’il tâtonna longtemps. Puis un beau jour, dans une immense éclaboussure au milieu de l’océan, surgit un être magnifique, la baleine, en qui tous les animaux de la Terre trouvèrent leur accomplissement. Longtemps, cette montagne de musique régna sur le monde, et tout aurait pu en rester là, tant le spectacle était grandiose.

Seulement voilà, après avoir chanté pendant des lunes et des lunes, la baleine à son tour fut la proie d’un désir : celui d’une vie différente. Elle qui se fondait au monde, elle rêva de s’en détacher.

Alors nous sommes apparus, nous, les hommes.

Nous sommes le cinquième rêve, la cinquième route, en marche tous vers le cinquième accomplissement, la cinquième extase.

Et ici, prenons garde. Dans la moindre couleur toute lumière est enfouie, dans le caillou dort un cristal, dans le brin d’herbe se cache un baobab, et dans le ver de terre sommeille une baleine. Quant à nous, nous ne sommes pas le plus bel animal qui soit. Nous sommes le rêve de l’animal, un rêve encore inaccompli.

 À présent, posons-nous cette question : quel sera notre avenir si nous nous acharnons à blesser la planète, si nous éliminons la dernière des baleines en train de nous rêver ?


 

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Commentaires
C
Bonjour Monde indien.<br /> <br /> Tout à fait d'accord avec vous. Et si nous allons au fond des choses, si nous considérons le mal que nous a fait le productivisme, nous ne pouvons tenir pour responsables les seuls capitalisme et stalinisme. Mais plutôt le matérialisme, c'est-à-dire la forme de pensée qui les a permis. Autrement dit nous-mêmes<br /> <br /> Mais là où tout espoir n'est pas perdu tient dans la dernière phrase du texte.<br /> <br /> "Nous sommes le rêve de l'animal…".<br /> <br /> Le monde est infini, nos désirs sont sans fin. Mais, infinie, la Terre ne l'est pas. <br /> <br /> Pour poursuivre nos rêves, qui eux le sont, il nous faudra évoluer, quitter la Terre qui constitue le berceau de notre enfance.<br /> <br /> Nous voici parvenus à l'adolescence, ami Indien, tous les espoirs nous sont permis.<br /> <br /> "Nous sommes le rêve de l'animal, un rêve encore inaccompli".<br /> <br /> Évidemment, si nous voulons réaliser ce rêve d'étoiles et d'infini, il nous faudra au préalable, comme Jonathan Livingston le Goéland, faire chez nous, et dans nos tête, un début de ménage.
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M
Bonjour , <br /> <br /> je découvre ton blog et ce texte sympa - <br /> <br /> Utopiste ? Je le suis peut-être mais je ne prête pas ce mot le sens qu ' on lui donne souvent - Nos rêves ne sont pas des illusions mais l ' expression de nos désir - <br /> <br /> Optimiste , mais je n ' attend pas grand chose de la bande voleurs , majoritaires , qui saccagent la planète et tout ce qui y vit - <br /> <br /> http://mondeindien.centerblog.net/
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