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Chronique, virgule
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9 septembre 2008

Pour Balthazar et Clémentine, du chaleureux, du sensuel

    
feu01

    Avertissement : Mordekhaï et le narrateur sont deux Juifs travestis en S.S.

     Confrontée brusquement à ce qu’offrait Auschwitz, elle fléchit sur ses jambes, partit en vrille et se serait abîmée si notre Scharführer ne l’avait rattrapée par une aile et serrée contre lui, pressée sur sa poitrine avec une foi telle qu’il parvint à ses fins sans que je pusse apprécier le détail. Trois secondes plus tard il franchissait le barbelé interdisant au Juif de toucher une Aryenne et, sans se soucier de moi ni des nazis dont il comptait que j’allais m’occuper, roulait à Irene Mengele, la femme d’un des plus noirs bourreaux que nous ait offert la prédation, roulait à cette femelle de luxe, sur les lieux–mêmes de l'anéantissement des peuples, le baiser le plus long, le plus mouillé, le plus sensuel, m’avoua-t-il le lendemain, qu’il fût capable de donner sans reprendre son souffle.

*

     L’affaire trouva sa conclusion au chaud, devant les Leichensträgers du IV, dans une atmosphère de confiance réciproque. J’entrai le premier et priai nos amis, occupés de saisies de d’enfournements, de s’interrompre et de vaquer où bon leur semblerait. Quelques minutes plus tard, lorsque parurent Mordekhaï et sa proie, des corps traînaient encore ici et là, mais le cousin ne visait que sa cible. Dans le sillage de sa casquette, sa chemise s’en fut voler au diable, pareillement ses bottes, de même la ceinture qu'il lança par-dessus son épaule et que suivit son pantalon, ses boutons braguette s'en allant rebondir ça et là. Si bien qu’il se trouva soudain, magnifique, devant la femme qu’il allait embrocher, se retrouva, sauvage et nu, face à l'ennemie du genre humain, dans le creuset où rougeoyaient les gueules de l’extermination.
Irene Mengele, cadeau de l’Eternel à son peuple éreinté… Irene Mengele, livrée au peuple juif en la personne d’un seul, Mordekhaï Kosteki, qui l'allait caresser, explorer, défoncer, reprendre et boire jusqu'à la dernière goutte avant de la flanquer au feu…

     Sans plus de retenue, le voici qui dégrafe un corsage dont les boutons s’en vont en rejoindre d'autres et dont les pans, dans l'écartement de leur soie, révèlent non pas quelque laiterie de Bavière mais une de ces vitrines du quartier de la Madeleine, avec floraison de dentelles et dentelles arrachées, dentelles s'en allant virevolter sitôt que le soutif, ne tenant que par un fil, se laissait arracher et que s’épanouissaient deux lèvres, qu’une langue allait et venait sur un visage abandonné, oublieux de l’horreur ou fasciné par elle.

     Entre ses bras, au centre de l’espace ouvert sur six brasiers, la possédée dérivait, seins nus, cuisses ouvertes à la pénétration du frère, la main du peuple juif la tenant par la taille et son amant la possédant debout, la besognant à la cosaque et la faisant valser parmi les corps épars, les grimaces et des gueules édentées, le cosaque au passage lui remontant sa jupe, sa jupe tirebouchonnant sur la révélation d'une vulve épilée, floraison que moulait à présent une main délicate, une main de seigneur, une main de baiseur juif enchaîné au désir qu’il avait de l’aryenne, de l’échevelée à un pied de laquelle s’accrochait un soulier, soulier tombé, soulier au feu et le dos de la femme sur la poitrine du mâle, ses seins saisis, son ventre pilonné, ravagé par des aller et retour dans la liquéfaction des sexes et le mouillé des lèvres, langues accouplées, profondeurs investie, armées en reddition sitôt que s'engloutissait l’éperon qui ressortait luisant, et qu’en la moiteur de la femme se perpétuait l'infernal va-et-vient de la naissance et du trépas, et qu'à la queue leu leu s'en allaient dans les fours s’abîmer les pantins.

     Sur mon invitation, les porteurs de cadavres avaient resserré le cercle, s’étaient placés en remparts de la scène. Religieusement, en rythme avec le couple, s'accompagnant d'une mélopée dont ils puisaient les vibrations dans la dévastation de leur corps, ils commencèrent à se caresser, à s'ériger en une communion de fronts et de nuques inclinés, une liturgie funèbre dont nulle chapelle ne saurait s’emparer.
Comment vous rapporter la fin, la tombée du rideau sur deux corps chavirés, le retour au silence… Comme soulevé, porté au paroxysme du plaisir et maintenu, le temps d'un gémissement, entre la terre en feu et le ciel sillonné de bombes, puis rejeté sur le ciment, l’homme a semblé se rompre, un spasme l’a tordu. Et le plaisir de la femme s’unit à la douleur des suppliciés, des porteurs de martyrs, le long soupir d'une impossible liberté, d'une souffrance que rien n’effacerait.

     « Qui est-ce ? » a demandé une voix quand vint l'heure de se rajuster, de reprendre le grappin et de pousser le chariot, de le ramener après avoir livré aux flammes l’habituel chargement.

     J’ai dévoilé le nom du mari, il se fit un silence. Des mains se sont alors saisies de la femme, des bras l’ont soulevée, portée et déposée où il fallait qu'elle fût. Et deux silhouettes en tenue de guignol ont poussé le chariot vers le pardon de Dieu, ou la vengeance de Dieu, ou l’accueil de Satan, ou les trois à la fois, nul ne saura jamais.

     Et Irene Mengele fêtée, comblée, ensemencée peut-être, accompagnée par des regards de braise, s'en fut sans protester vers une douleur invraisemblable, une souffrance aussi brève que totale.

     Une main sur la forme en allée, le regard sur un soulier chuté, Mordekhaï s’effondrait.
     — Quelle connerie, sanglotait-il, quelle abomination.

    

Auschwitz Karnaval - extrait

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Commentaires
Y
test
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P
Ils vont me prendre comment ?<br /> Parce que des fois ça peut faire mal !<br /> et je suis douillet...
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M
Comme je commence à te connaître, propre sur toi et tout, avec tes mains au-dessus des draps et tes textes bien comme il faut, bien sûr que si, qu'y vont te prendre, les gallinacés.
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P
Sont vraiment nuls chez Gallimard.<br /> Merde ! ils vont pas me publier non plus !<br /> <br /> :)<br /> <br /> Pardon pour le vouvoiement, l'émotion !<br /> Réelle et frémissante...
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S
"Ce fut le grand coup de guerre des exploiteurs<br /> De persuader aux exploités<br /> Qu'il n'était d'évasions que dans les rêves<br /> Versons un rêve sur le pirate...<br /> ....<br /> Pour qu'il s'éveille de son rêve absurde<br /> Qu'il se voit avec ses manches de lustrine<br /> Le ventre creux le cheveux rare<br /> Une homme, un homme esclave, un dormeur éveillé<br /> Versons un pleur sur le pirate<br /> Sur le pirate et la piraterie"<br /> (Inédit.)Robert Desnos
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