Paris (France), du baume au cœur
Vous l’avez deviné, je ne suis pas parti pour Paris en vélorail, ni même en vélo électrique. Je m’y suis rendu en R 21 Névada, avec de bons amis à moi, et ce n’est pas moi qui conduisais étant donné que la voiture n’était pas mienne et que je n’ai plus que trois points en réserve pour à la maréchaussée.
Donc, déplacement véloce, moelleux et silencieux sur le ruban de l’autoroute A6, vision panoramique de lignes à haute tension aux abords de la capitale, Airbus et Boeing dans les airs, radars à double visée sur le terre-plein central, mais pas de problème, en conservant un profil bas on passe inaperçu. 110 km/h, puis 90, puis 70, et descente majestueuse sous le regard bienveillant de Notre-Dame des Autoroutes, dernière courbe dans le passage souterrain, nickel, revoici le jour et revoici la pluie, mais la pluie on s’en fout, on a le ventre plein et quelques doublezons en poche. Ce qu’on remarque, en revanche, là où l’autoroute vient se fondre dans le périphérique, c’est un triangle d’herbe sale incliné vers le rail de sécurité, une sorte camping d’une vingtaine de tentes semblables, inclinées toutes vers un trafic automobile qui ne s’interrompt jamais, même qu’on se demande comment ils font pour dormir et pas devenir cinglés, les touristes qui les occupent.
En réalité, il ne s’agit pas de vacanciers étrangers ni même provinciaux, mais de gens comme vous et moi — enfin, pas tout à fait comme vous vu qu’ils n’ont pas su se démerder aussi bien que vous dans la vie, qu’ils ont perdu leur boulot, leur conjoint, leurs mômes et leur honneur, et qu’ils s’accrochent à présent au goulot de la bouteille pour tenter de se réchauffer, être prêts à rebondir dès que ça ira mieux. Alors dans cette perspective, on ne peut que remercier messieurs Sarkozy, Delanoë et consorts d’avoir mis à leur disposition ce triangle de verdure, de leur avoir en plus permis d’y dresser les tentes mises gratuitement à leur disposition par la municipalité parisienne, la nation toute entière et les enfants de don Quichotte, et de leur garder un couvert aux restaurants du cœur, symbole de la solidarité des plus riches à l’égard des plus pauvres. Mais ces quelques tentes, vitrine de la bienfaisance française, ne sont encore rien : il y a paraît-il, entre Saint-Denis et la gare du Nord, dans un tel enchevêtrement de rails qu’on ne sait plus où on va, tout un village de tentes en dur, enfin en tôles, où séjournent incognito des familles en attente du rebond qui s’annonce du côté de la Défense, dans les reflets de l’infini sur les façades de verre.
Mais les asociaux véritables, ceux u’il est impossible de ne pas remarquer, s’exposent quant à eux sur les trottoirs de Montparnasse, là où la foule d’un perpétuel dimanche laisse échapper des profits qui, croyez-moi, ne rebondissent pas longtemps sur l’asphalte merdeux, ni ne se perdent pour tout le monde.
En tout cas, ce qui me parut le plus intéressant, le plus révélateur de la solidarité nationale, c’est le nombre grandissant de gens assis sur le trottoir, le nombre de mains tendues, la tolérance du flic à l’égard des détresses provisoires. Alors merci monsieur le Président, merci monsieur le Maire, et merci consorts. De voir en effet, à l’inverse de ce qui se passe en Afrique, ces gens qui ne meurent pas de faim, ça m’a mis comme du baume au cœur.