Un oiseau de passage
Au gré des discussions avec ses amis, avec ses connaissances, j’ai peu à peu découvert mon fils. Un fils dont je soupçonnais la fragilité du bonheur, mais que je n’aurais jamais imaginé aussi blessé, aussi peu sûr de lui en ses cachettes intimes.
Jamais il ne parlait de lui. Il disait que se regarder le nombril ne l’intéressait pas, qu’il préférait traverser la vie en souriant. Le plus beau souvenir que je garde de lui date d’avant ce blog, d’avant l’ordinateur qu’il m’a offert. Nous travaillions alors côte à côte à retaper un appartement qu’il venait d’acheter. Nous partions de Levallois le matin, nous traversions Paris à moto, un gros cube, et revenions le soir sans la moindre anicroche. J’étais admiratif. Je me demandais comment, moi qui n’ai pas réussi grand chose, j’avais malgré tout pu engendrer un fils aussi fort, aussi brillant, aussi lumineux.
Sa lumière attirait les femmes. Elles étaient presque toutes présentes ce mercredi des cendres, autour de son cercueil. Des blondes, des brunes, mais surtout des noires africaines, des métisses. Certaines retenaient leurs larmes, d’autres n’y parvenaient…
Toutes belles, toutes jeunes, vivantes…
Que lui est-il donc arrivé, à cet ange ?
Dans leurs propos, moi qui avais pensé jusque là qu’il me considérait du haut de sa réussite, avec condescendance ou presque, qu’il me prenait sans doute pour un artiste quelque peu raté, j’ai découvert que ce fils avait parlé de moi à ses amies, qu’il m’admirait, qu’il m’aimait.
D’où tenait-il donc cette incapacité à s’ouvrir, à se livrer, à se dévoiler ne serait-ce que d’un fil, à partager ses sentiments, accepter le bonheur que chacune lui offrait ?
Il fut pour ces jeunes femmes un homme charmant, délicat, protecteur et vivant. Et de surcroît un magnifique amant, on le devinait dans leurs yeux.
Mais pourquoi, pourquoi bon dieu ne fut-il dans leur ciel, dans le mien et celui de cette jeune femme, Rislaine, avec laquelle il fut à Venise voici moins de deux mois, qu’un oiseau de passage ?