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Chronique, virgule
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22 septembre 2008

L’accroupissement des Totenkopfs (Têtes de mort)

Canada

    Les problèmes intestinaux de la Staffel durèrent une bonne semaine. Aussi, pendant huit jours, ne se permirent de rondes qu’un nombre insignifiant de S.S. Et non plus ceux que nous ne connaissions que trop mais, pour des raisons que l’on devine, des déglingués qui laissaient percevoir, sous leurs trognes de gagne-petit et de cogneurs, donc de frustrés, une pression entérique pour eux des plus insupportables et pour nous des plus drôles. Quant aux kapos, décimés eux aussi, ils furent contraints de la mettre en sourdine.

    Durant cette période, Mordekhaï, Guturdjieff et moi-même troquâmes nos uniformes contre des blouses de la Croix Rouge, à même de nous soustraire aux enquêtes gestapistes. Sur pied dès l’aube, nous parcourions le camp à la recherche de Têtes-de-mort mal en point, et dieu sait s’ils se trouvaient en nombre, les malheureux S.S. que malmenaient bactéries et virus.

    On en voyait partout les traces de ces accroupissements d’urgence, de ces "laissées" permettant au chasseur de repérer son gibier, d’en deviner l’âge, l’heure du passage, le rôle au sein de la meute ainsi que les dernières saillies.

    Vu de la Rive gauche, où se bousculent grands esprits et lettrés amateurs de petits fours, un tel comportement paraîtra le summum de la dégradation psychique. Cependant, dans cet “anus mundi” qu’était devenu Auschwitz, les plaisanteries de pot de chambre, le retour au caca boudin, boudin dans la culotte et culotte sur la tête permettait d’apaiser les tensions.

    En attendant, pour nous hisser dans l'estime des cogneurs qui risquaient, sitôt l’épidémie contenue, de s’offusquer d’un lieu de travail converti en champ de merde et de nous en tenir rigueur, nous organisâmes, partant du Kanada, une distribution de pelles et de seaux, accompagnés du mode d'emploi. Nous vint alors une idée …

    Dès son apparition dans les allées, tout Oberdéfécateur potentiel était suivi de paires d’yeux qui ne le lâchaient plus. Au moindre signe de fébrilité de sa part, les trois Stücks attachés à ses basques se précipitaient et lui venaient en aide de la manière suivante : le premier lui déboutonnait son manteau, le second descendait son falzar sur les bottes et, se saisissant de ses mains, faisait contrepoids pour que le personnage pût s’accroupir sans chuter dans ce qu'on sait. Le troisième alors, qui entre temps avait glissé son seau sous l’ampleur du vêtement, en soulevait la partie inférieure pour ne pas elle se souille… Mais ce ne fut pas la panacée car le seigneur, humilié dans sa morgue — du moins s’en persuadait-il —, se remettait à balancer des gnons dès que reculotté, et force nous fut de revenir à la première méthode, celle de l’intervention postérieure aux dégâts.

    Comme il fallait s’y attendre de la part de sous-hommes n'ayant jamais réfléchi par eux-mêmes ni tenté de grimper les échelons pour devenir Kapos, ce travail d'enlèvement n’engendra que déboires. Ou bien nos assistants recouvraient la laissée d’une couche de poussière si diaphane que c’en devenait obscène, ou bien, sitôt leurs seaux remplis, s’en allaient les vider à quelques pas de là, déplaçant le problème sur le terrain de l’équipe d'à côté, laquelle réglait à son tour la question avec le même discernement. Cette entreprise de nettoyage, cette Sauberkeitaktion destinée à prouver que le Juif, bien qu'il fût au-dessous de tout, avaient le sens de la méthode (de même le romano et le pédé), se transforma en un foutoir qu'on n'alla pas jusqu'à nous reprocher mais tout de même, et l’on ne compta plus les pelles égarées ni les seaux hors d’usage, ni les lancers de gadoue, ni l’écrasements de lisier sur des rictus de clowns.

    Mais sans doute manquions-nous de jugeote… Après que le contenu des seaux avait accompli translations, rotations et manipulations diverses — empli ici et vidé là, re-empli là et revidé là-bas, usw. —, boue et matières étaient à ce point mêlées qu’il ne s’agissait plus à proprement parler des laissées d’origine, mais d'une fumure dont il restait à mesurer le pouvoir sur les poireaux et les choux d’Harmensee. Car ce compost nazi, mélangé par nos soins à de la cendre judaïque, formait une potasse dont des échantillons, leur composition conservée en mémoire, furent soigneusement détruits de manière à ne pas choir entre des mains ennemies. Les seigneurs. en effet, de retour sur les lieux de leurs exploits après que l’antidote mis au point par Myklos leur avait remis dans les tripes en place, eurent tôt fait d’oublier l’aide que nous leur avions apportée : à l'image de ce qu'ils étaient auparavant, ils redevinrent odieux. Aussi la tranquillité sur laquelle nous comptions ne dura-t-elle que quelques jours. Après une semaine d’armistice, obligation de rendre seaux et pelles et d’assister à des appels qui n’en finissaient plus. Les sélections reprirent, reprirent de même les brimades quotidiennes, les pendaisons pour rien, le gazage de malades atteints d'une forme mutante de l’épidémie devant laquelle Myklos lui-même dut s’avouer impuissant
.
    A noter que la mortalité naturelle des Stücks de barbelés, enregistrée comme vous savez sous la forme de croix en face de matricules que les Blockführers, après vérification par les Blockältestes, revérification par les premiers et recoupements à tous niveaux de la bureaucratie, barraient d’un coup de plume satisfait, avait augmenté de manière positive. Du moins après la falsifications, par notre entremise, des écritures officielles. En réalité, en plus d’un petit millier des nôtres, ce furent trois cents S.S. qui passèrent l’arme à gauche au cours de cette quinzaine. Immatriculés aux chiffres des Häftlings qui leur piquaient leurs places, ces personnages autrefois redoutés étaient portés dans la colonne décès par nos chargés de magouille, dissimulés ensuite dans les empilements au cube, puis traînés vers les crématoires ou bien, pour peu que le transport fût sans risque, dirigés sur les entrepôts d’Harmensee. Là, apprêtés au hachoir, ils se glissaient incognito dans le circuit de la consommation interne ou encore, contre monnaie sonnante et trébuchante, dans celui de Piotr, qui de son côté servait pavés et côtes premières aux officiers qui se pressaient à ses tables. Il faut vous dire que ce commerçant, fin connaisseur de l’appétit des meutes, s’était entouré de drôlesses venues des quatre coins de l’Europe.

   

Auschwitz Karnaval - extrait

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Commentaires
B
> Cornillon<br /> Désolé, l'URL n'est pas directe, prends celle-ci :<br /> <br /> http://www.flickr.com/photos/appelsdair/sets/72157600959853096/<br />
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B
> Cornillon<br /> C'était pas une vanne, c'était pour casser un peu l'ambiance pas toujours festive.<br /> Néanmoins, je trouve que tu pourrais emprunter tes illustrations à des artistes divers et variés.<br /> Si tu veux, tu peux tester la piste en essayant avec des illustrations prises chez moi dans Off/off.<br /> C'est sans forfanterie de ma part, si ça t'intéresse pas je ne serai pas vexé. Si tu m'utilises, tu marques Suchet, Off/off.<br /> L'URL est :<br /> http://www.flickr.com/photos/appelsdair/875667278/in/set-72157600959853096/<br /> <br /> Lâche pas la rampe.<br /> Balthazar
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M
Ma déco, ma déco, ben quoi ? Je vais sur Google images, je tape Auschwitz, je parcours quelques pages de photos, j'en transfère une dizaine sur mon bureau, ensuite je choisis la meilleure, et le tour est joué.<br /> Ah mais c'est vrai, j'oubliais : tout est dans le choix…<br /> >> Lidia, une petite tête de "veau" vinaigrette, ou une cervelle de mouton… non, ça ne te dit vraiment rien ?
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L
Des latrines aux cuisines, excréments, cendres et chairs humaines se marient incroyablement bien avec tes mots...<br /> Michel, je te l'ai déjà dit, ne m'invite jamais à manger chez toi même si la déco est au top !<br /> Je souris, t'es un grand malade plein de talent... et j'adore ça.
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C
Ce que j'aime aussi chez toi Cornillon, c'est la déco.<br /> Clémentine
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