Jour de baptême
Ce samedi, Mimi se lève à huit heures. Petit déjeuner, coup de peigne, voiture, notaire. Il repasse chez lui à 9h30, récupère le matériel nécessaire à une matinée de militantisme, puis s’en va au marché de Toucy rejoindre la camarade Nathalie. Café, partage du matériel de propagande et c’est parti : distribution de tracts Front de Gauche, puis de Tracts PCF quand les premiers sont épuisés, aux gens venus remplir leurs cabas ou simplement se montrer et profiter du monde. Des pépères, des mémères, des petits, des grands, des ras-le-gazon, des bien en chair, des bérets, des fichus, des boiteux, des têtes vides, des casquettes, des hippies, des veaux, des gazelles…
Pour Mimi, question tract, c’est le baptême du feu. Cependant, après quelques hésitations et maladresses, il a tôt fait de se saisir d’une technique infaillible : repérer la cible, la fixer d’un air engageant, lui tendre le papier d’un geste généreux, lui sourire, et bonne journée si c’est une vielle dame, à lire attentivement si le gars fait la moue, enfin je vous le mets sur les carottes dans le cas où la citoyenne, entourée de marmots, a de surcroît les mains enchaînées aux légumes…
Des centaines de visages on ne peut plus ordinaires, et dont certains repassent au gré de leur errance parmi les étals de produits régionaux — alors clin d’œil complice, tenez, je vous ai gardé celui-ci.
Mais le plus touchant, pour Mimi, observateur finaud de la vie quotidienne, ce ne sont pas les visages, façonnés dans des moules niant les différences sociales. Ce sont le mains. Les mains qui s’ouvrent, se portent en avant et se saisissent du papier. Pour la plupart des mains d’ouvriers, de paysans, de petites gens qui ont trimé pour s’offrir ce samedi de repos, de retrouvailles entre copains, de tournées d’apéros au Café de la Place : des mains calleuses, ridées par le turbin, qui ne parviennent à s’ouvrir complètement tant les modèle le souvenir de l’outil, tant continue de les hanter la forme de son manche.
Malgré trois saisons de jardinage, les mains de Mimi, quand à elles, sont des mains de plaisantin — enfin… d’intello. A peine un soupçon de corne à la jointure des phalanges et de la paume.
Et Mimi de se demander comment les paluches du bon peuple, si grossières, ont bien pu pactiser avec les poules, soigner es lapins et cochons, récolter le nectar des abeilles.