Buster
Au fond, le bordel de sa vie, à Buster, n’est pas aussi catastrophique qu’on pourrait le songer. Du moins pas aussi systémique que les conneries d’un monde dans lequel chacun patauge. Simplement, notre Buster a lâché un instant le fil qui le reliait à lui-même, c’est à dire à ce qu’il fut à l’aube de sa jeunesse : un demi-dieu auquel rien n’allait résister, et dont l’imagination, la clairvoyance et l’idéal allaient illuminer la confrérie de ses semblables.
Car Buster, s’il se veut aujourd’hui un être ayant conquis sa liberté, se revendique l’égal des autres (avec bien entendu la foi en une même égalité des autres non seulement entre eux mais aussi avec lui). Nous n’en sommes pas encore là, hélas, et Buster, pour atteindre de ce paradis ne serait-ce que le seuil, se déclare prêt à confier au souffle de l’avenir les innombrables semences dont il protégea les promesses contre tsunamis et vents glacés durant l’hiver de son adolescence. Si cet hiver en effet se prolongea au-delà du raisonnable, si le froid lui fut intolérable, et révoltante à ses yeux l’indifférence des filles, il assume aujourd’hui son destin, en ressent de la fierté.
En effet, après une longue période de gestation de soi, durant laquelle il prit à diverses reprises ses rêves pour la réalité, il a fini par ébranler les murs de sa prison intime, par crever les parois de la chrysalide en laquelle l’avait enfermé une inadéquation tragique entre son monde à lui, nourricier, généreux, luxuriant, et l’univers de malades en lequel on voulait qu’il se tînt. Mais basta ! Hier, en réunion de son parti, réunion au cours de laquelle il fut question d’écologie, d’aspirations des peuples et de fraternité entre les hommes, il dut sans le savoir se transporter dans le monde chaud de son enfance. De cette réunion en tout cas il ressortit vif et joyeux. Les restes de sa chrysalide, de même les gravats de son passé, avaient totalement disparu. Le monde lui ouvrait les bras. Les graines qu’il avaient conservées dans ses poings allaient bientôt germer.
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