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22 octobre 2009

Chiens, Totnenkopfs et Schützen

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Après la révolte des détenus, nous voici au beau milieu du démontage d'un crématoire.
Face aux Stücken chargés de la récupération des briques, les S.S. et leurs chiens. Le problème réside en la  tension grandissante entre  nazis et  Schäferhunds.

 

Scène IV

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Pour l’instant pas un son, on s’observe. Dans la prunelle des chiens, les S.S. mesurent capacités d’attaque et pouvoir d’encaisser, déterminent l’effet que produira sur leur couenne les mâchoires exhibées. Si par malheur ils loupent la cible, adieu cochons couvées, Schweinen und Bruten. C’en sera fini pour eux.

Côté mastards, raisonnement identique, à cette seule différence que le chien n’a pas la faculté que possède le nazi de raisonner par concepts, images et métaphores. Pour lui, seule la ligne droite mène d’un point à un autre, et le problème se résume à ceci : ou je te saigne, ou tu me tues.

Si tout se brouillait dans les cerveaux nazis, tout se clarifiait au contraire dans le cortex de quadrupèdes dressés à déchirer du Juif — et pourquoi pas du S.S. si la situation le voulait. Et la situation ne pouvant perdurer, il fallait bien que la tension, après l’engloutissement de toute logique dans le naufrage de la raison, tranchât les liens maintenant les pulsions dans les limites permises.

C’est dans la caboche de Zoltan Borzembach que le voltage a soudain dépassé les bornes, créant le court-circuit qui mit le feu aux poudres.

Borzembach, promu gardien de camp en récompense de sa destruction à la masse de la mercerie de son quartier lors de la nuit de cristal, paniquait à la vue du molosse dont il avait la charge. Cette bête obtuse, dévoyée par un dressage à la diable, le fixait d’un regard de malade. A tel point que Borzembach se demandait, le bestiau le prenant d’évidence pour une os de quelle manière il pourrait s’en sortir. C’est alors, en cherchant à changer de main son fusil mitrailleur, qu’il fit un faux mouvement. L’arme lui échappa, qu’il voulut rattraper. Hélas, ce n’est pas sur elle qu’il referma son gant, mais sur la queue de Vilbur, lequel fit volte face et lui trancha deux doigts. Hurlement de Borzembach, coup de pied dans les burnes de Vilbur, fureur du quadrupède qui lui happa si bien la botte qu’apparut un orteil aussitôt englouti. Borzembach voyait rouge, le berger voyait noir, nous revenions à l’essence du nazisme.

Un Schäferhund aux yeux jaunes, qui venait de sauter à la gorge d’un S.S. aux yeux fous, fut abattu par le S.S. de droite — à la suite de quoi ce dernier fut agressé par son propre clébard, charogne qui refusa de le lâcher tandis que son voisin de gauche abattait un bestiau entendant l’égorger. Le second S.S. de droite, qui se protégeait le groin après qu’on lui avait bouffé le nez, demeurait cul à l’air. Et ça bardait à tel point que l’heure n’était plus à compter les victimes mais à envisager l’ensemble des faits d’arme, à déterminer d’un coup d’œil qui serait décoré le lendemain, sur l’Appellplatz, dans le déploiement des étendards et le déchaînement des cuivres.

Hélas, rien n’est simple. Si je me trouvais sur les lieux en compagnie de Guturdjieff, de Mordekhaï et d’Abdul  quand retentit le premier tir, nous en étions à jauger la Daimler, à tenter de savoir s’il nous serait possible d’y charger suffisamment de munitions et de nourriture en vue de l’évacuation prochaine… Les événements se sont alors enclenchés avec une telle rapidité que nous n’eûmes pas le temps de lever les yeux que nombre de chiens, de Totenkopfs et de Schützen, déjà, se noyaient dans leur sang. J’eus l’impression qu’un Schäferhund rampait, qu’un S.S. essayait de récupérer son arme sous le ventre d’un voisin, qu’on se culbutait à droite, qu’on on se déchirait à gauche, qu’on se bastonnait de partout. Un poignard surgissait, valsait aussitôt un képi et ferraillait un casque tandis que volait la neige sous les raclements conjugués des semelles et des griffes. Et ça grondait, ça aboyait et gueulait avec une telle énergie, un tel désespoir en même temps, qu’il eût fallu plusieurs cameramen pour couvrir la mêlée.

Mais le spectacle continuait. Du Kanada jaillissaient des troupes fraîches, une troisième armada parvenait sur les lieux, et des colonnes entières dérapaient dans la neige, arrivaient sur les fesses pendant que les combattants, hommes et bêtes mêlés, noués, parfois même emmanchés et haletants, tentaient de surnager. Et si l’un des protagonistes s’inquiétait du pourquoi, du quoi quoi, du qui quo, du que qui, il n’avait pas le temps de s’interroger. Il prenait une des balles qui sifflaient aux oreilles de chacun (Höss lui-même avait trouvé refuge derrière sa limousine, dont avaient éclaté les pneus), mêlait ses hurlements, ses mugissements et vociférations au ramdam général pour la raison que son clébard, qui venait de lui broyer le poignet, s’intéressait à présent à ses prunes. Et les chiens de faire de même dans leur langage à eux, et les Stücks d’applaudir à chaque nouvelle saignée, à chaque nouvelle peignée, ce qui se traduisait par un applaudissement unique, prolongé par l’écho.

Ne restèrent bientôt plus, sur le béton de l'ancienne chambre à gaz, que quelques hommes et bêtes hagards, certains le crâne ouvert, d’autres amputés d’une guibole ou d’une patte, qui se fixaient comme des pestiférés.

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