Honneur et P38
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Parvenus le lendemain à la croisée des routes de
Mikolow et Pszczyna, en queue de la gigantesque cohorte dont un millier de
participants, dépouillées de leurs pelures sitôt quitté ce monde, gisaient déjà
ici et là, nous avons opté pour la direction de Bielsko-Biala, plus
accueillante à première vue que celle de Gliwice et Wroclaw. Peut-être nous
trompions-nous, mais difficile d’en juger car les attaques et contre-attaques
des différentes armées, d’après la BBC, faisaient rage tant au sud qu’au
septentrion, et les campagnes n'étaient pas mieux loties que les villes :
partout des bombardiers, en vertu de quoi effondrement de ponts, déviations à
n’en plus finir, soldats et déserteurs n’y comprenant plus rien… Et puis il
nous parut que la montagne offrirait de meilleures opportunités que la plaine.
Nous projetions d’y enfouir nos sacs, de venir les reprendre sitôt le Führer au
trou.
Seuls à présent en compagnie d’un commandant qui ne
commandait plus, nous dérivions parmi des paysages que maintenait sous sa
griffe la svastika du radiateur. Nous aurions volontiers arraché ce symbole,
aurions de même éjecté le père Höss, tant son opacité nous devenait pesante.
Mais tant que le cessez-le-feu n’aurait pas retenti, nous ne pouvions souhaiter
meilleur laissez-passer.
Papieren, bitte… Ah, Rudolf
Höss, der Kommandant des grobe Konzentrationslager Auschwitz ? Heil
Hitler ! ya, ya, gut, hé hé ! und gut Reise, Herren… mais ce n'était
que rêve. Vautrés dans un néant moelleux alors que des milliers de nos
semblables pataugeaient dans la neige et retournaient leurs poches pour ne rien
y pêcher, nous avions le moral en chute libre. Et ce ne sont pas les butors des
jeunesses hitlériennes dont une demi-douzaine, armée de fusils de la Grande
Guerre, venait de surgir devant nous, qui purent le remonter. Nous leur
conseillâmes de filer, mais les gamins se cramponnaient à leur pétoire avec une
telle foi en leur avenir que je me résignai à en descendre quelques-uns —
treize ans, quatorze à tout casser, à peine un poil sur le menton mais des
allures de fauve, et maintenant de cadavres dont les marcheurs s’appropriaient
les fripes, les bottes, le fric et les Auschweiss…
Comment le peuple allemand, qui comptait autrefois
tant de poètes et de penseurs, n’avait-il pas compris que le Juif, répugnant à
force de courber l'échine, devait cela au S.S. qu’amusait sa terreur ? Et
comment la majorité des Allemands, au seuil de la défaite, pouvait-elle
continuer d‘ignorer l’état des miséreux qu'on poussait vers des camps, puis
d'autres camps et encore d'autres jusqu'à ce qu'il n'existât plus de camps, ni
de mourants, ni de populace allemande, ni d’Allemagne, ni rien… On voyait des
marmots abandonner leur pouce et se mettre au service de Satan, des mères
s’enlaidir à frapper la boiteuse qui ne les saluait pas. De moins en moins de
dignité chez le péquin de la rue, rien que des bonnes femmes qui empoignaient
le balai pour se venger de leur propre abjection sur l’échine du marcheur, puis
désignaient le malheureux au cochon qu'elles souhaitaient pour gendre. Et à
chaque fille son assassin — mais chut, laisser le silence veiller sur la vertu
des chiennes, laisser les chiennes dans la contemplation du veau tirant son P
38, visant la guenon harassée et pressant la détente.
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